jaune singulier, avec de gros boutons qui font un vilain effet sur cette étoffe raide. Cet habit a l'air d'avoir la colique.
On ne le remarquait pas, ou du moins je ne m'en suis pas aper?u, dans la rue des Vieux-Augustins ou sur les boulevards, mais ici il fait sensation. On croit que je veux le vendre; les jeunes gens se détournent avec horreur, mais les marchands d'habits approchent.
Ils prennent les basques, tatent les boutons, comme des médecins qui soignent une variole, et s'en vont; mais aucun ne m'offre un prix. Ils secouent la tête tristement, comme si ce drap était une peau malade et que je fusse un homme perdu.
Et il pèse, ce pardessus!
Avec mes courses vers l'un, vers l'autre, le grand air, et ce poids d'étoffe sur le bras, j'en suis arrivé à l'épuisement, à la fringale, à l'ivrognerie!
J'ai déjà mangé un petit pain, bu deux canons de la bouteille, et j'ai encore soif et j'ai encore faim! La boulimie s'en mêle!
Pas de Matoussaint, pas de Royanny!
Je me suis décidé à entrer dans les amphithéatres. J'ai produit une émotion profonde, mais n'ai pas aper?u ceux que je cherchais.
Les salles se vident une à une. Un à un les élèves s'éloignent, les professeurs se retirent. On n'a vu que moi dans les escaliers, dans la cour,--moi et mon paletot jaune.
Le concierge m'a remarqué, et au moment de faire tourner la grosse porte sur ses gonds, il jette sur ma personne un regard de curiosité; il me semble même lire de la bonté dans ses yeux.
Il a d? voir bien des timides et des pauvres depuis qu'il est dans cette loge. Il a entendu parler de plus d'une fin tragique et de plus d'un début douloureux, dans les conversations dont son oreille a saisi des débris. Il me renseignerait peut-être.
Je n'ose, et me détourne en sifflotant comme un homme qui a mené promener son chien ou qui attend sa bonne amie, et qui a pris un pardessus jaune, parce qu'il aime cette couleur-là.
La porte tourne, tourne, elle grince, ses battants se rejoignent, ils se touchent--c'est fini!
Elle me montre une face de morte. Je ne sais où est Matoussaint, je n'ai pu retrouver Royanny. J'irai coucher dans la rue où est le garni à six sous.
Je montre le poing à cette maison fermée qui ne m'a pas livré le nom d'un ami chez lequel je pourrais quêter un asile et un conseil.
Pourquoi n'ai-je pas parlé à ce portier qui me semblait un brave homme? Poltron que je suis!
Ah! s'il sortait!...
Il sort.
Je l'aborde courageusement; je lui demande--qu'est-ce que je lui demande donc?--Je ne sais, j'hésite et je m'embrouille; il m'encourage et je finis par lui faire savoir que je cherche un nommé Royanny et que l'école doit avoir son adresse, puisque Royanny est étudiant en droit.
?Allez voir le secrétaire de la Faculté, M. Reboul.?
Il rentre dans l'école avec moi et m'indique l'escalier.
M. Reboul m'ouvre lui-même--un homme blême, lent, l'air triste, la peau des doigts grise.
?Que désirez-vous? Les bureaux sont fermés... Vous avez donc quelqu'un avec vous??
Il regarde au coin de la porte. C'est que j'ai planté là mon paletot jaune qui a l'air d'un homme; M. Reboul a peur et il me repousse dans l'escalier.
Le gardien me recueille, je ressaisis mon paletot comme on lève un paralysé et je m'en vais, tandis que M. Reboul se barricade.
?écoutez, me dit le concierge, je vais prendre sur moi de regarder dans les registres, en balayant. Faites comme si vous étiez domestique et descendez dans la salle des inscriptions.?
Je fais comme si j'étais domestique. Je mets ma coiffure dans un coin et je retrousse mes manches. Ah! si j'avais un gilet rouge au lieu d'un paletot jaune!
Nous entrons dans la salle du secrétariat et l'on cherche à l'R.
Ro... Ro... Royanny (Beno?t), rue de Vaugirard, 4.
Le concierge s'empresse de fermer le registre et de le remettre en place.
Je le remercie.
?Ce n'est rien, rien. Mais filez vite! M. Reboul va peut-être venir et il est capable de crier au secours s'il voit encore votre paletot!?
3 H?tel Lisbonne
4, rue de Vaugirard... H?tel Lisbonne? C'est au coin de la rue Monsieur-le-Prince.
Je demande M. Royanny.
?Il n'y est pas. Qu'est-ce que vous lui voulez? Vous êtes de Nantes, peut-être?...?
La concierge qui est une gaillarde me questionne brusquement et d'affilée.
?Je ne suis pas de Nantes, mais j'ai été au collège avec lui.
--Ah! vous avez été à Nantes? Vous connaissez M. Matoussaint?
--M. Matoussaint? oui.?
Je lui conte mon histoire. C'est justement après M. Matoussaint que je cours depuis cinq heures du matin!...
?En voilà un qui est dr?le, hein! Il demeure en haut, à c?té de M. Royanny--qui répond pour lui, vous sentez bien-- Matoussaint n'a pas le sou... c'est un pané... ?a écrit.?
Les concierges m'ont l'air tous du même avis pour les écrivains.
?Et Matoussaint est chez lui?
--Non, mais il ne ratera pas l'heure du d?ner,
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