veut-il écrire
quelque chose sur le livre des voyageurs?
DANIEL.--Moi?... je n'écris jamais après mes repas, rarement avant...
Voyons les pensées délicates et ingénieuses des visiteurs. (Il feuillette
le livre, lisant.) «Je ne me suis jamais mouché si haut[5]!...» Signé:
«Un voyageur enrhumé...» (Il continue à feuilleter.) Oh! la belle
écriture[6]! (Lisant.) «Qu'il est beau d'admirer les splendeurs de la
nature, entouré de sa femme et de sa nièce!...» Signé: «Malaquais,
rentier...» Je me suis toujours demandé pourquoi les Français, si
spirituels chez eux, sont si bêtes en voyage! (Cris et tumulte au
dehors.)
L'AUBERGISTE.--Ah! mon Dieu!
DANIEL.--Qu'y a-t-il?
ACTE II, SCÈNE III
DANIEL, PERRICHON, ARMAND, MADAME PERRICHON,
HENRIETTE, L'AUBERGISTE
Perrichon entre, soutenu par sa femme et le guide
ARMAND.--Vite, de l'eau! du sel! du vinaigre!
DANIEL.--Qu'est-il donc arrivé?
HENRIETTE.--Mon père a manqué de se tuer!
DANIEL.--Est-il possible?
PERRICHON, assis.--Ma femme!... ma fille!... Ah! je me sens
mieux!...
HENRIETTE, lui présentant un verre d'eau sucrée.--Tiens!... bois! ça
te remettra...
PERRICHON.--Merci... quelle culbute! (Il boit.)
MADAME PERRICHON.--C'est ta faute aussi... vouloir monter à
cheval, un père de famille!... et avec des éperons encore!
PERRICHON.--Les éperons n'y sont pour rien[1]... c'est la bête qui est
ombrageuse.
MADAME PERRICHON.--Tu l'auras piquée[2] sans le vouloir, elle
s'est cabrée...
HENRIETTE.--Et sans monsieur Armand qui venait d'arriver... mon
père disparaissait[3] dans un précipice...
MADAME PERRICHON.--Il y était déjà... je le voyais rouler comme
une boule... nous poussions des cris!...
HENRIETTE.--Alors, monsieur s'est élancé!...
MADAME PERRICHON.--Avec un courage, un sangfroid!... Vous
êtes notre sauveur... car sans vous mon mari... mon pauvre ami... (Elle
éclate en sanglots.)
ARMAND.--Il n'y a plus de danger... calmez-vous!
MADAME PERRICHON, pleurant toujours.--Non! ça me fait du bien!
(A son mari.) Ça t'apprendra à mettre des éperons. (Sanglotant plus
fort.) Tu n'aimes pas ta famille.
HENRIETTE, à Armand.--Permettez-moi d'ajouter mes remercîments à
ceux de ma mère; je garderai toute ma vie le souvenir de cette journée...
toute ma vie!...
ARMAND.--Ah! mademoiselle!
PERRICHON, à part.--A mon tour[4]!... (Haut.) Monsieur Armand!...
non, laissez-moi vous appeler Armand!
ARMAND.--Comment donc[5]!
PERRICHON.--Armand... donnez-moi la main... Je ne sais pas faire de
phrases, moi... mais tant qu'il battra, vous aurez une place dans le coeur
de Perrichon! (Lui serrant la main.) Je ne vous dis que cela!
MADAME PERRICHON.--Merci!... monsieur Armand!
HENRIETTE.--Merci, monsieur Armand!
ARMAND.--Mademoiselle Henriette!
DANIEL, à part.--Je commence à croire que j'ai eu tort de prendre mon
café!
MADAME PERRICHON, à l'aubergiste.--Vous ferez reconduire le
cheval[6], nous retournerons tous en voiture...
PERRICHON, se levant.--Mais je t'assure, ma chère amie, que je suis
assez bon cavalier... (Poussant un cri.) Aïe!
Tous.--Quoi?
PERRICHON.--Rien!... les reins! Vous ferez reconduire le cheval!
MADAME PERRICHON.--Viens te reposer un moment; au revoir,
monsieur Armand!
HENRIETTE.--Au revoir, monsieur Armand!
PERRICHON, serrant énergiquement la main d'Armand.--A bientôt...
Armand! (Poussant un second cri.) Aïe!... j'ai trop serré[7]! (Il entre à
gauche suivi de sa femme et de sa fille.)
ACTE II, SCÈNE IV
ARMAND, DANIEL
ARMAND.--Qu'est-ce que vous dites de cela, mon cher Daniel?
DANIEL.--Que voulez-vous[1]? c'est de la veine!... vous sauvez le père,
vous cultivez le précipice[2], ce n'était pas dans le programme!
ARMAND.--C'est bien le hasard...
DANIEL.--Le papa vous appelle Armand, la mère pleure et la fille vous
décoche des phrases bien senties... Je suis vaincu, c'est clair! et je n'ai
plus qu'à vous céder la place[3]...
ARMAND.--Allons donc! vous plaisantez...
DANIEL.--Je plaisante si peu que, dès ce soir, je pars pour Paris...
ARMAND.--Comment?
DANIEL.--Où vous retrouverez[4] un ami... qui vous souhaite bonne
chance!
ARMAND.--Vous partez! ah! merci!
DANIEL.--Voilà un cri du coeur[5]!
ARMAND.--Ah! pardon! je le retire!... après le sacrifice que vous me
faites...
DANIEL.--Moi? entendons-nous bien... Je ne vous fais pas le plus
léger sacrifice. Si je me retire, c'est que je ne crois avoir aucune chance
de réussir; car, maintenant encore, s'il s'en présentait une... même petite,
je resterais.
ARMAND.--Ah!
DANIEL.--Est-ce singulier! Depuis qu'Henriette m'échappe, il me
semble que je l'aime davantage.
ARMAND.--Je comprends cela... aussi[6], je ne vous demanderai pas
le service que je voulais vous demander...
DANIEL.--Quoi donc?
ARMAND.--Non, rien...
DANIEL.--Parlez... je vous en prie.
ARMAND.--J'avais songé... puisque vous partez, à vous prier de voir
monsieur Perrichon, de lui toucher quelques mots de ma position, de
mes espérances.
DANIEL.--Ah! diable!
ARMAND.--Je ne puis le faire moi-même... j'aurais l'air de réclamer le
prix du service que je viens de lui rendre.
DANIEL.--Enfin, vous me priez de faire la demande[7] pour vous?
Savez-vous que c'est original, ce que vous me demandez là!
ARMAND.--Vous refusez?...
DANIEL.--Ah! Armand! j'accepte!
ARMAND.--Mon ami[8]!
DANIEL.--Avouez que je suis un bien bon petit rival, un rival qui fait
la demande! (Voix de Perrichon dans la coulisse.) J'entends le
beau-père! Allez fumer un cigare et revenez!
ARMAND.--Vraiment! je ne sais comment vous remercier...
DANIEL.--Soyez tranquille[9], je vais faire vibrer chez lui la corde de
la reconnaissance. (Armand sort par le fond.)
ACTE II, SCÈNE V
DANIEL, PERRICHON, puis L'AUBERGISTE
PERRICHON,
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