donnez-moi la main... Je ne sais pas faire de phrases, moi... mais tant qu'il battra, vous aurez une place dans le coeur de Perrichon! (Lui serrant la main.) Je ne vous dis que cela!
MADAME PERRICHON.--Merci!... monsieur Armand!
HENRIETTE.--Merci, monsieur Armand!
ARMAND.--Mademoiselle Henriette!
DANIEL, à part.--Je commence à croire que j'ai eu tort de prendre mon café!
MADAME PERRICHON, à l'aubergiste.--Vous ferez reconduire le cheval[6], nous retournerons tous en voiture...
PERRICHON, se levant.--Mais je t'assure, ma chère amie, que je suis assez bon cavalier... (Poussant un cri.) A?e!
Tous.--Quoi?
PERRICHON.--Rien!... les reins! Vous ferez reconduire le cheval!
MADAME PERRICHON.--Viens te reposer un moment; au revoir, monsieur Armand!
HENRIETTE.--Au revoir, monsieur Armand!
PERRICHON, serrant énergiquement la main d'Armand.--A bient?t... Armand! (Poussant un second cri.) A?e!... j'ai trop serré[7]! (Il entre à gauche suivi de sa femme et de sa fille.)
ACTE II, SCèNE IV
ARMAND, DANIEL
ARMAND.--Qu'est-ce que vous dites de cela, mon cher Daniel?
DANIEL.--Que voulez-vous[1]? c'est de la veine!... vous sauvez le père, vous cultivez le précipice[2], ce n'était pas dans le programme!
ARMAND.--C'est bien le hasard...
DANIEL.--Le papa vous appelle Armand, la mère pleure et la fille vous décoche des phrases bien senties... Je suis vaincu, c'est clair! et je n'ai plus qu'à vous céder la place[3]...
ARMAND.--Allons donc! vous plaisantez...
DANIEL.--Je plaisante si peu que, dès ce soir, je pars pour Paris...
ARMAND.--Comment?
DANIEL.--Où vous retrouverez[4] un ami... qui vous souhaite bonne chance!
ARMAND.--Vous partez! ah! merci!
DANIEL.--Voilà un cri du coeur[5]!
ARMAND.--Ah! pardon! je le retire!... après le sacrifice que vous me faites...
DANIEL.--Moi? entendons-nous bien... Je ne vous fais pas le plus léger sacrifice. Si je me retire, c'est que je ne crois avoir aucune chance de réussir; car, maintenant encore, s'il s'en présentait une... même petite, je resterais.
ARMAND.--Ah!
DANIEL.--Est-ce singulier! Depuis qu'Henriette m'échappe, il me semble que je l'aime davantage.
ARMAND.--Je comprends cela... aussi[6], je ne vous demanderai pas le service que je voulais vous demander...
DANIEL.--Quoi donc?
ARMAND.--Non, rien...
DANIEL.--Parlez... je vous en prie.
ARMAND.--J'avais songé... puisque vous partez, à vous prier de voir monsieur Perrichon, de lui toucher quelques mots de ma position, de mes espérances.
DANIEL.--Ah! diable!
ARMAND.--Je ne puis le faire moi-même... j'aurais l'air de réclamer le prix du service que je viens de lui rendre.
DANIEL.--Enfin, vous me priez de faire la demande[7] pour vous? Savez-vous que c'est original, ce que vous me demandez là!
ARMAND.--Vous refusez?...
DANIEL.--Ah! Armand! j'accepte!
ARMAND.--Mon ami[8]!
DANIEL.--Avouez que je suis un bien bon petit rival, un rival qui fait la demande! (Voix de Perrichon dans la coulisse.) J'entends le beau-père! Allez fumer un cigare et revenez!
ARMAND.--Vraiment! je ne sais comment vous remercier...
DANIEL.--Soyez tranquille[9], je vais faire vibrer chez lui la corde de la reconnaissance. (Armand sort par le fond.)
ACTE II, SCèNE V
DANIEL, PERRICHON, puis L'AUBERGISTE
PERRICHON, entrant et parlant à la cantonade.--Mais certainement il m'a sauvé! certainement il m'a sauvé[1], et, tant que battra le coeur de Perrichon... Je le lui ai dit...
DANIEL.--Eh bien! monsieur Perrichon... vous sentez-vous mieux?
PERRICHON.--Ah! je suis tout à fait remis... je viens de boire trois gouttes de rhum dans un verre d'eau, et dans un quart d'heure, je compte gambader sur la mer de Glace. Tiens, votre ami n'est plus là?
DANIEL.--Il vient de sortir.
PERRICHON.--C'est un brave jeune homme!... ces dames l'aiment beaucoup.
DANIEL.--Oh! quand elles le conna?tront davantage!... un coeur d'or! obligeant, dévoué, et d'une modestie[2]!...
BERRICHON.--Oh! c'est rare.
DANIEL.--Et puis il est banquier... c'est un banquier!...
PERRICHON.--Ah!
DANIEL.--Associé de la maison Turneps, Desroches et Cie. Dites donc[3], c'est assez flatteur d'être repêché par un banquier... car enfin[4], il vous a sauvé!... Hein? sans lui!...
PERRICHON.--Certainement... certainement. C'est très gentil ce qu'il a fait là!
DANIEL, étonné.--Comment, gentil[5]!
PERRICHON.--Est-ce que vous allez vouloir atténuer le mérite de son action?
DANIEL.--Par exemple[6]!
PERRICHON.--Ma reconnaissance ne finira qu'avec ma vie... ?a[7]!... tant que le coeur de Perrichon battra... Mais, entre nous, le service qu'il m'a rendu n'est pas aussi grand que ma femme et ma fille veulent bien le dire.
DANIEL, étonné.--Ah bah!
PERRICHON.--Oui. Elles se montent la tête. Mais, vous savez, les femmes!...
DANIEL.--Cependant, quand Armand vous a arrêté, vous rouliez...
PERRICHON.--Je roulais, c'est vrai... mais avec une présence d'esprit étonnante... J'avais aper?u un petit sapin après lequel j'allais me cramponner; je le tenais déjà quand votre ami est arrivé.
DANIEL, à part.--Tiens, tiens! vous allez voir qu'il s'est sauvé tout seul.
PERRICHON.--Au reste, je ne lui sais pas moins gré de sa bonne intention... Je compte le revoir... lui réitérer mes remerc?ments... je l'inviterai même cet hiver.
DANIEL, à part.--Une tasse de thé[8]!
PERRICHON.--Il para?t que ce n'est pas la première fois qu'un pareil accident arrive à cet endroit-là... c'est un mauvais pas[9]... L'aubergiste vient de me raconter que, l'an dernier, un Russe... un prince... très bon cavalier!... car ma femme a beau dire[10], ?a ne tient pas à mes éperons!... avait roulé dans le même trou.
DANIEL.--En vérité!
PERRICHON.--Son guide l'a retiré... Vous voyez! qu'on s'en retire parfaitement[11]. Eh bien! le Russe lui a donné cent francs!
DANIEL.--C'est très bien payé!
PERRICHON.--Je le crois bien[12]!... Pourtant c'est ce que ?a vaut...
DANIEL.--Pas un sou de plus. (A part.) Oh! mais je ne pars pas[13].
PERRICHON, remontant.--Ah ?a! ce guide n'arrive
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