chambre... dès l'aurore... c'est un trait de gentilhomme[10]!
DANIEL.--C'est dans notre programme... lutte loyale!... Voulez-vous de l'omelette?
ARMAND.--Merci[11]... Mon cher, je dois vous prévenir... loyalement, que de Chalon[12] à Lyon, mademoiselle Perrichon m'a regardé trois fois.
DANIEL.--Et moi quatre!
ARMAND.--Diable! c'est sérieux!
DANIEL.--?a le[13] sera bien davantage quand elle ne nous regardera plus... Je crois qu'en ce moment elle nous préfère tous les deux... ?a peut durer longtemps comme ?a; heureusement que nous sommes gens de loisir.
ARMAND.--Ah ?a! expliquez-moi comment vous avez pu vous éloigner de Paris, étant le gérant d'une société de paquebots...
DANIEL.--Les Remorqueurs sur la Seine... capital social, deux millions. C'est bien simple: je me suis demandé un petit congé, et je n'ai pas hésité à me l'accorder... J'ai de bons employés; les paquebots vont tout seuls[14], et pourvu que je sois à Paris le huit du mois prochain pour le paiement du dividende... Ah ?à! et vous? un banquier!... il me semble que vous pérégrinez beaucoup!
ARMAND.--Oh! ma maison de banque ne m'occupe guère... J'ai associé mes capitaux en réservant la liberté de ma personne[15], je suis banquier...
DANIEL.--Amateur!
ARMAND.--Je n'ai, comme vous, affaire à Paris que vers le huit du mois prochain.
DANIEL.--Et d'ici là nous allons nous faire une guerre à outrance...
ARMAND.--A outrance! comme deux bons amis... J'ai eu un moment la pensée de vous céder la place; mais j'aime sérieusement Henriette...
DANIEL.--C'est singulier... je voulais vous faire le même sacrifice... sans rire... A Chalon, j'avais envie de décamper, mais je l'ai regardée...
ARMAND.--Elle est si jolie!
DANIEL.--Si douce!
ARMAND.--Si blonde!
DANIEL.--Il n'y a presque plus de blondes[16]; et des yeux!
ARMAND.--Comme nous les aimons[17].
DANIEL.--Alors je suis resté!
ARMAND.--Ah! je vous comprends!
DANIEL.--A la bonne heure! C'est un plaisir de vous avoir pour ennemi! (Lui serrant la main.) Cher Armand!
ARMAND, de même.--Bon Daniel! Ah ?à! monsieur Perrichon n'arrive pas! Est-ce qu'il aurait changé son itinéraire? Si nous allions les perdre!...
DANIEL.--Diable! c'est qu'il[18] est capricieux, le bonhomme... Avant-hier il nous a envoyés nous promener à Ferney[19] où nous comptions le retrouver...
ARMAND.--Et pendant ce temps, il était allé à Lausanne.
DANIEL.--Eh bien, c'est dr?le de voyager comme cela! (Voyant Armand qui se leve.) Où allez-vous donc?
ARMAND.--Je ne tiens pas en place[20], j'ai envie d'aller au-devant de ces dames.
DANIEL.--Et le café?
ARMAND.--Je n'en prendrai pas... Au revoir! (Il sort vivement par le fond.)
ACTE II, SCèNE II
DANIEL, puis L'AUBERGISTE, puis LE GUIDE
DANIEL.--Quel excellent gar?on! c'est tout coeur, tout feu[1]... mais ?a ne sait pas vivre; il est parti sans prendre son café! (Appelant.) Holà!... monsieur l'aubergiste!
L'AUBERGISTE, paraissant.--Monsieur?
DANIEL.--Le café. (L'aubergiste sort. Daniel allume un cigare.) Hier, j'ai voulu faire fumer le beau-père... ?a ne lui a pas réussi[2]...
L'AUBERGISTE, apportant le café.--Monsieur est servi.
DANIEL, s'asseyant derrière la table devant la cheminée et étendant une jambe sur la chaise d'Armand.--Approchez cette chaise... très bien... (Il a désigné une autre chaise, il y étend l'autre jambe.) Merci!... Ce pauvre Armand! il court sur la grande route, lui, en plein soleil[3]... et moi, je m'étends! Qui arrivera le premier de nous deux? nous avons[4] la fable du Lièvre et de la Tortue.
L'AUBERGISTE, lui présentant un registre.--Monsieur veut-il écrire quelque chose sur le livre des voyageurs?
DANIEL.--Moi?... je n'écris jamais après mes repas, rarement avant... Voyons les pensées délicates et ingénieuses des visiteurs. (Il feuillette le livre, lisant.) ?Je ne me suis jamais mouché si haut[5]!...? Signé: ?Un voyageur enrhumé...? (Il continue à feuilleter.) Oh! la belle écriture[6]! (Lisant.) ?Qu'il est beau d'admirer les splendeurs de la nature, entouré de sa femme et de sa nièce!...? Signé: ?Malaquais, rentier...? Je me suis toujours demandé pourquoi les Fran?ais, si spirituels chez eux, sont si bêtes en voyage! (Cris et tumulte au dehors.)
L'AUBERGISTE.--Ah! mon Dieu!
DANIEL.--Qu'y a-t-il?
ACTE II, SCèNE III
DANIEL, PERRICHON, ARMAND, MADAME PERRICHON, HENRIETTE, L'AUBERGISTE
Perrichon entre, soutenu par sa femme et le guide
ARMAND.--Vite, de l'eau! du sel! du vinaigre!
DANIEL.--Qu'est-il donc arrivé?
HENRIETTE.--Mon père a manqué de se tuer!
DANIEL.--Est-il possible?
PERRICHON, assis.--Ma femme!... ma fille!... Ah! je me sens mieux!...
HENRIETTE, lui présentant un verre d'eau sucrée.--Tiens!... bois! ?a te remettra...
PERRICHON.--Merci... quelle culbute! (Il boit.)
MADAME PERRICHON.--C'est ta faute aussi... vouloir monter à cheval, un père de famille!... et avec des éperons encore!
PERRICHON.--Les éperons n'y sont pour rien[1]... c'est la bête qui est ombrageuse.
MADAME PERRICHON.--Tu l'auras piquée[2] sans le vouloir, elle s'est cabrée...
HENRIETTE.--Et sans monsieur Armand qui venait d'arriver... mon père disparaissait[3] dans un précipice...
MADAME PERRICHON.--Il y était déjà... je le voyais rouler comme une boule... nous poussions des cris!...
HENRIETTE.--Alors, monsieur s'est élancé!...
MADAME PERRICHON.--Avec un courage, un sangfroid!... Vous êtes notre sauveur... car sans vous mon mari... mon pauvre ami... (Elle éclate en sanglots.)
ARMAND.--Il n'y a plus de danger... calmez-vous!
MADAME PERRICHON, pleurant toujours.--Non! ?a me fait du bien! (A son mari.) ?a t'apprendra à mettre des éperons. (Sanglotant plus fort.) Tu n'aimes pas ta famille.
HENRIETTE, à Armand.--Permettez-moi d'ajouter mes remerc?ments à ceux de ma mère; je garderai toute ma vie le souvenir de cette journée... toute ma vie!...
ARMAND.--Ah! mademoiselle!
PERRICHON, à part.--A mon tour[4]!... (Haut.) Monsieur Armand!... non, laissez-moi vous appeler Armand!
ARMAND.--Comment donc[5]!
PERRICHON.--Armand...
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