avec vue sur le Grand Canal, le Lido, l'Adriatique, le tout Venise, enfin! J'y tiens absolument! Ah! comme je me réjouis déjà de me coiffer, le matin, devant toutes ces splendeurs!... Et puis, si je rencontrais des amis? Altmar m'a dit qu'il y serait sans doute avec son fils, vous savez, ce grand gar?on épris d'une ravissante fille sans le sou? Son père le fait voyager pour lui changer les idées. Cet Altmar! qu'il est délicieux, ma chère! J'espère que nous le verrons. Il sera fou de vous tout de suite et moi (soupirant) je vous accompagnerai... Ah non, zut! Il est trop charmant, bien qu'un peu rasta, et d'ailleurs il ne se tiendrait pas de bonheur d'être le futur amant d'une genuine comtesse comme moi!... S'il est gentil, je suis capable de rester à Venise et de vous laisser filer... (Elle rêve.)
--Ah! vous comptez?...
--Peut-être, est-ce qu'on sait jamais!
--Bien, bien...
* * *
Le lendemain, quand Floche revit Avertie, un peu inquiète, elle demanda:
--Avez-vous déjà re?u une réponse de votre amie Maud... nos chambres, vous savez?
--Non.
--C'est que... j'ai réfléchi toute la nuit à ce problème. Nous ferions tout aussi bien de descendre dans un petit h?tel de famille, une pension suisse, bien simple, bon marché. Car, en somme, le luxe, la vue (on sort pour la voir, on n'a que ?a à faire), et la grande vie d'h?tel quand on est rentré chez soi, qu'est-ce qu'il en reste? J'aime bien mieux rogner là-dessus et m'acheter un joli pot--j'ai la passion des pots, comme vous savez--ou quelque bibelot sympathique qu'on garde pour toujours.
--Mais, alors, vos amours? insinua Avertie.
--Oh! je m'en fiche bien de mes amours... C'est ce que je me disais cette nuit. L'ordre et l'économie avant tout!... Je voulais vous demander aussi... mais vous n'allez pas vouloir... vous allez vous ficher de moi?
--Quoi donc, ma pauvre Floche?
--Eh bien, vous connaissez mon petit sac jaune, le gros, celui que vous appelez le Carlin parce qu'il claque dans sa peau... J'y ai mis toutes mes lettres d'amour et je voudrais les emporter.
Avertie éclata, comme le Carlin.
--Emporter le Carlin, bourré de lettres d'amour, pour faire un tour en Italie! Quand vous aurez à peine le temps de lire votre correspondance! Mais c'est de l'enfantillage!
--C'est que... Je ne m'en suis encore jamais séparée...
--Eh bien, il faudra commencer, voilà tout! C'est de l'esclavage cela! Quand nous rognons sur une paire de bottines, pour ne pas nous encombrer, nous n'allons pas nous charger du Carlin, qui pèse 10 kilos au moins!--Ah! je le connais!--et que vous pourriez égarer dans une gare, ce qui vous compromettrait irré-mé-di-able-ment!
Elle avait dit ?compromettrait irrémédiablement? pour faire peur à Floche, car rien n'était plus banal que ce fardeau sentimental dont elle ne se séparait jamais, pauvres lettres, d'une navrante insignifiance, sur gros papier cuir, chiffré en Angleterre, et sur lequel les hommes élégants acceptent ou refusent, d'ordinaire, les invitations à d?ner.
On finit cependant par leur remettre leurs tickets; elles se séparèrent, emportant dans leurs porte-cartes, sous les espèces d'un petit carnet estampillé Cook and C°, une provision de joies et de plaisirs.
Quand, le soir, réunies de nouveau sous la lampe d'Avertie, elles étalèrent leurs dernières emplettes, voiles, gants, cahiers de notes, sacs à éponges neufs, Floche reparla de sa valise--la grosse dépense:
--Je l'ai finalement achetée chez Dewy. J'étais d'abord allée dans tous les magasins pour me rendre compte des prix. Oh! j'ai bien dépensé six francs de fiacre et c'est chez ce sale juif que je l'ai trouvée! C'est une chose magnifique, ma valise! De 95 fr. je l'ai fait baisser à 60, parce qu'elle avait ?fait vitrine?. Elle n'est pas en peau de cochon, mais en vache et couleur arc-en-ciel.
CHAPITRE II
Le soir du départ était arrivé. Avertie, après avoir installé son sac en ?première classe?, parcourait le long couloir du train à la recherche de son amie, quand elle avisa dans un compartiment, sorte d'antre noir, tous rideaux tirés, une forme vague, immobile et entourée de nombreux paquets. C'était Floche.
--Ah! vous voilà, enfin! dit celle-ci à voix basse, en parlant du nez pour ajouter au mystère. Vous voyez, j'ai tout retenu et éteint. Comme ?a, les gens ont peur; ils ne comprennent pas ce qui se passe; ils prennent les paquets pour un malade et ne montent pas dans votre compartiment.
--Fort bien, mais vous êtes en seconde.
--Oui, je sais. Après vous avoir quittée chez Cook, l'autre jour, j'ai beaucoup réfléchi et fait déclasser mon billet. C'était trop absurde de dépenser, pour les coussins de velours, presque le double du prix des mêmes coussins en reps! Alors, j'ai pris le reps.
--Bien. Et moi, vous m'avez laissée pour compte au velours! Parfait, ce voyage prévu à deux, qu'on décide ensuite de faire séparément!
--Non, non, j'ai pensé à tout. Je sais bien qu'après votre premier moment de rage, de fureur, vous serez enchantée de faire
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.