Le Voluptueux Voyage | Page 2

Marie-Aimery de Cominges
Floche pressentie, vous voulez m'emmener en voyage? Mais vous ne savez pas quel paquet je suis! Une vraie empotée, et si avare avec cela... Et, ma malle, comment la faut-il? En ai-je seulement une de convenable? Et puis, vous serez obligée de me faire une liste des choses à emporter. Je n'ai jamais voyagé, vous savez!
--En effet, vous n'en avez pas l'air! répondit Avertie, en riant.
Pendant que celle-ci roulait dans son fiacre, en pensant au colis supplémentaire qu'en la personne de Floche elle s'était imposé--volontairement,--l'autre, dans son entresol élégant, 1, rue Gauthier-Villars, se reposait, mollement étendue sur son divan, dans la soie des coussins amoncelés. Une cigarette blonde au bout de ses doigts gothiques et soignés, elle restait inquiète et un peu tremblante.
Malgré le vif plaisir qu'elle se promettait de ce voyage, elle avait peur aussi de la compagnie d'Avertie. Sa famille, un peu verjus, la lui avait souvent dépeinte autoritaire, despote, intransigeante et d'une santé intrépide! La crainte de ne pouvoir se reposer à son aise, de temps en temps, la tourmentait et, par-dessus tout, celle de tant d'argent qu'il lui faudrait dépenser. Mais le plaisir et la vanité de ce qu'Avertie, cette amie si particulière, l'e?t choisie comme compagne de voyage, elle, entre tant d'autres, chassa vite ses appréhensions.
Elle fit une liste de tout ce qu'elle avait à lui demander, alla mettre son chapeau et courut la rejoindre pour parler de leur projet.
--Ah! vous êtes chez vous! quelle chance! j'ai tant à causer pour ce voyage! D'abord, j'ai trouvé une malle. à présent, que faut-il mettre dedans?
--Le moins possible, répondit Avertie. Le nécessaire, tout juste: une robe du soir, un bouquet pour vos seins, vos perles, un peu de linge, une boule d'eau chaude en caoutchouc, et de bonnes chaussures...
--Et ma pharmacie?
--Comment, votre pharmacie?
--Ah! ma chère, voilà que déjà vous faites une tête sévère, mais vous ne savez pas ce qu'il faut pour un vieux corps comme le mien! Mes sachets, mes bains de bouche, mon Eau mère...
Avertie, qui a prêté une oreille distraite:
--Tout ?a c'est des bêtises. Que votre bagage soit ordinaire, solide et fermant bien. Puis, ayez une bonne valise dans laquelle vous mettrez vos objets de toilette les plus simples, en toc... en cellulo?d, c'est plus léger--et surtout pas d'étalage d'argenterie, de nécessaire, comme vous m'en encombrez dans vos déplacements à la campagne. Ces élégances sont bonnes pour les voyages de noces quand le mari, tout frais, les porte ou le valet de pied!
--Mais... vous me parlez de valise, comme si j'en avais!
--Et les boutiques pourquoi sont-elles faites?
--Oh! c'est très cher, une valise!... Mon fils Melchior pourrait me prêter la sienne,... c'est une sorte de vieux ?panier pique-nique? dont j'?te l'intérieur quand il va chez ses petits amis Grandaim...
--Non, voyons! ce n'est vraiment pas convenable pour une comtesse si raffinée! Faites donc le sacrifice d'une bonne valise. Venez, je vous emmène retenir les billets du sleeping et acheter le bag.
Dans la voiture de Floche, qui les conduisait vers le centre de Paris, celle-ci gardait le silence et Avertie combinait le voyage sur un carnet.
--Croyez-vous vraiment indispensable de passer la nuit en sleeping? demanda timidement Floche. J'ai une idée... peut-être l'approuverez-vous? Je voudrais renoncer au sleeping; ?a co?te bien un supplément d'une quarantaine de francs, cette affaire-là? Eh bien, j'aime mieux les mettre à l'achat de ma valise. Si vous saviez combien facilement je me passe de sommeil! Dormir? mais, pour une nuit, on peut aussi bien ne pas dormir!... J'en ai vu bien d'autres du temps de mon pauvre mari! Une nuit, c'est si vite passé, surtout en chemin de fer et mal couchée... Tandis que la valise, c'est une bonne affaire de faite pour toute la vie...
Avertie la laissait parler d'abondance, la sentant humble et craintive, malgré son verbiage; elle la regardait goguenarde. ?En effet, pensait-elle, elle peut supporter une nuit de ?noyaux de pêches? en 2e classe!?
Floche, qui prétendait descendre de Louis le Gros par les femmes, était mince de taille, mais replète, avec une gorge haute et abondante, des hanches contraintes dans le corset ?de la Doctoresse?..., bref d'un ensemble rempli de grace potelée, et de race tout de même.
Chez Cook, on se fit délivrer les billets et organiser l'itinéraire--aller et retour Venise, Milan, le Gothard, etc... Elles attendirent longtemps, déjà un peu en voyage, entourées d'un monde hétéroclite et polyglotte, debout comme dans un bar.
--Savez-vous où nous descendrons à Venise? demanda Floche. Vos amis américains qui y habitent vous recevront-ils? Ce serait une fameuse économie!
--Certainement non! Eux-mêmes, chère amie, répondit Avertie, n'y sont que pour quelques mois et au 2e étage d'un palais majestueux, c'est vrai, mais délabré et à peine meublé. Seulement, Maud est très pratique et je lui ai déjà écrit de nous trouver de bonnes chambres dans un confortable h?tel.
--Pourvu que ce soit le meilleur, le plus élégant
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