seconde.
--Oui, je sais. Après vous avoir quittée chez Cook, l'autre jour, j'ai
beaucoup réfléchi et fait déclasser mon billet. C'était trop absurde de
dépenser, pour les coussins de velours, presque le double du prix des
mêmes coussins en reps! Alors, j'ai pris le reps.
--Bien. Et moi, vous m'avez laissée pour compte au velours! Parfait, ce
voyage prévu à deux, qu'on décide ensuite de faire séparément!
--Non, non, j'ai pensé à tout. Je sais bien qu'après votre premier
moment de rage, de fureur, vous serez enchantée de faire comme moi.
Après tout, c'était une folie que ces 1re classe! Vous n'allez pas me
faire croire que vous êtes bâtie autrement que moi et que vous ne
supporterez pas deux jours en seconde, y compris la première nuit?... Et
ce sera moi, encore, qui vous aurai mis cent francs dans votre poche!
Avertie abasourdie («Quel toupet!» marmottait-elle) ne se prononçait
pas. Mais le hasard donna raison à Floche; les premières se trouvèrent
bondées et les secondes à peu près vides. Le transbordement se fit
rapidement et Floche triompha.
Capuchon d'auto sur la tête, coussin à vent dans le dos, droite comme
une idole, la Comtesse Floche s'endormit. Avertie, grâce à de
nombreux oreillers, en fit autant.
* * *
Bâle. 6 heures du matin.
--Träger, Gepäck?
--Ja wohl.
--Buffet?
--Ja wohl.
D'un pas alerte, toutes deux descendent et se précipitent vers le
déjeuner. Mais le «n° 18» ne suit pas. À côté des valises, la courroie
rejetée sur sa blouse bleue, il a l'air d'un pot de faïence de Delft ou d'un
vieux hibou.
--Eh bien! qu'attendez-vous? lui crie Avertie. Schnell!!! Schnell!!!
--Nein.
--Quoi, Nein?
--Kann nicht das tragen, zu viel! dit-il avec placidité, en montrant d'un
signe de tête le tas des sacs jaunes.
--Appelez un camarade.
--Nein, zu viel.
Avertie commence à s'échauffer. Le vieux hibou évidemment «ne veut
rien savoir». Pourquoi aussi l'a-t-elle choisi tassé, et hors d'âge pour
porter leurs valises? Décidément, c'est comme pour les fiacres, elle n'a
pas l'oeil.
Mais Floche s'en va déjeuner, tandis qu'Avertie essaye de réveiller
l'énergie du vieux hibou, en promettant des sommes folles pour lui
mettre un peu de coeur au ventre. À la fin, elle le menace même de ne
rien donner du tout... Le vieux la plante là et s'en va.
--Ça, pour le coup, ça ne s'est jamais vu! s'écrie Avertie.
Le temps presse, cependant. Elle n'a plus que six minutes pour
transborder les sacs. Sans se décourager, forte de son droit, elle
demande à droite et à gauche; malheureusement, dès que les hommes
d'équipe aperçoivent les nombreuses «peaux de truie», c'est comme un
sort, ils hochent la tête et s'en vont d'un air mystérieux.
Il faut pourtant en finir; la sueur lui perlant au front, après des
démarches d'une politesse toute XVIIIe auprès du chef de gare, Avertie
apprend qu'un arrêté, daté du matin même, défend à tout porteur de se
charger des «valises, colis et autres bagages à main» dépassant 0,80 x
0,50, sous peine d'être mis à pied!
Tandis que Floche, au buffet, trouvait les petits déjeuners suisses bons
mais chers, on annonça le départ du train. Soudain Avertie, en bombe,
tomba sur la dernière bouchée de Floche qu'elle insulta, bouscula, mais
sans lui conter rien de sa déconvenue si déshonorante pour une jeune
vaniteuse de son expérience des voyages. Elle la poussa enfin jusqu'aux
colis, lui mit dans une main un des sacs, dans l'autre la poignée de la
trop célèbre valise et à elles deux, à bras tendus et jarrets vacillants,
elles enlevèrent leurs bagages devant les voyageurs, le chef de gare et
les Träger ahuris.
Floche, sous le joug, se lamentait à tue tête.
--Dieu! les voyages! Ma chère, comme j'avais raison, quel martyre! Et
comme je serais plus confortablement, 1, rue Gauthier-Villars!... Mais,
tout de même, vous faites des progrès. Je n'eusse jamais osé vous prier
d'économiser le Trinkgeld du Träger!
Une fois affalée dans le train, retrouvant, sans doute, une petite croûte
parfumée aux coins de ses gencives, elle ajouta avec conviction:
--Ce petit déjeuner suisse m'a fait du bien. Cela repose après une nuit
de chemin de fer. Et puis, c'était du thé de Ceylan, heureusement... moi
qui ne peux supporter le thé de Chine!... le beurre, pas mauvais... J'ai
mangé trois pains noirs avec des petites crottes dessus.
S'était-elle seulement aperçue, cette bonne Floche, qu'elle s'adressait à
l'estomac creux d'Avertie?...
Changement de train pour le rapide Lucerne-Saint-Gothard. Avertie
tombe avec son amie dans le compartiment des fumeurs: velours rouge,
bagages, gentlemen anglais.
--Cette Suisse, comme elle m'ennuie, se dit Avertie. Heureusement que
le printemps l'arrange un peu avec ce jaune pâle aux aiguilles des
mélèzes et l'épanouissement des arbres fruitiers sur les versants. Mais
qu'elle est grise et dure... comme une poire froide d'hiver!
Floche, qui se tenait dans
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