recevront-ils? Ce serait une
fameuse économie!
--Certainement non! Eux-mêmes, chère amie, répondit Avertie, n'y sont
que pour quelques mois et au 2e étage d'un palais majestueux, c'est vrai,
mais délabré et à peine meublé. Seulement, Maud est très pratique et je
lui ai déjà écrit de nous trouver de bonnes chambres dans un
confortable hôtel.
--Pourvu que ce soit le meilleur, le plus élégant avec vue sur le Grand
Canal, le Lido, l'Adriatique, le tout Venise, enfin! J'y tiens absolument!
Ah! comme je me réjouis déjà de me coiffer, le matin, devant toutes ces
splendeurs!... Et puis, si je rencontrais des amis? Altmar m'a dit qu'il y
serait sans doute avec son fils, vous savez, ce grand garçon épris d'une
ravissante fille sans le sou? Son père le fait voyager pour lui changer
les idées. Cet Altmar! qu'il est délicieux, ma chère! J'espère que nous le
verrons. Il sera fou de vous tout de suite et moi (soupirant) je vous
accompagnerai... Ah non, zut! Il est trop charmant, bien qu'un peu rasta,
et d'ailleurs il ne se tiendrait pas de bonheur d'être le futur amant d'une
genuine comtesse comme moi!... S'il est gentil, je suis capable de rester
à Venise et de vous laisser filer... (Elle rêve.)
--Ah! vous comptez?...
--Peut-être, est-ce qu'on sait jamais!
--Bien, bien...
* * *
Le lendemain, quand Floche revit Avertie, un peu inquiète, elle
demanda:
--Avez-vous déjà reçu une réponse de votre amie Maud... nos chambres,
vous savez?
--Non.
--C'est que... j'ai réfléchi toute la nuit à ce problème. Nous ferions tout
aussi bien de descendre dans un petit hôtel de famille, une pension
suisse, bien simple, bon marché. Car, en somme, le luxe, la vue (on sort
pour la voir, on n'a que ça à faire), et la grande vie d'hôtel quand on est
rentré chez soi, qu'est-ce qu'il en reste? J'aime bien mieux rogner
là-dessus et m'acheter un joli pot--j'ai la passion des pots, comme vous
savez--ou quelque bibelot sympathique qu'on garde pour toujours.
--Mais, alors, vos amours? insinua Avertie.
--Oh! je m'en fiche bien de mes amours... C'est ce que je me disais cette
nuit. L'ordre et l'économie avant tout!... Je voulais vous demander
aussi... mais vous n'allez pas vouloir... vous allez vous ficher de moi?
--Quoi donc, ma pauvre Floche?
--Eh bien, vous connaissez mon petit sac jaune, le gros, celui que vous
appelez le Carlin parce qu'il claque dans sa peau... J'y ai mis toutes mes
lettres d'amour et je voudrais les emporter.
Avertie éclata, comme le Carlin.
--Emporter le Carlin, bourré de lettres d'amour, pour faire un tour en
Italie! Quand vous aurez à peine le temps de lire votre correspondance!
Mais c'est de l'enfantillage!
--C'est que... Je ne m'en suis encore jamais séparée...
--Eh bien, il faudra commencer, voilà tout! C'est de l'esclavage cela!
Quand nous rognons sur une paire de bottines, pour ne pas nous
encombrer, nous n'allons pas nous charger du Carlin, qui pèse 10 kilos
au moins!--Ah! je le connais!--et que vous pourriez égarer dans une
gare, ce qui vous compromettrait irré-mé-di-able-ment!
Elle avait dit «compromettrait irrémédiablement» pour faire peur à
Floche, car rien n'était plus banal que ce fardeau sentimental dont elle
ne se séparait jamais, pauvres lettres, d'une navrante insignifiance, sur
gros papier cuir, chiffré en Angleterre, et sur lequel les hommes
élégants acceptent ou refusent, d'ordinaire, les invitations à dîner.
On finit cependant par leur remettre leurs tickets; elles se séparèrent,
emportant dans leurs porte-cartes, sous les espèces d'un petit carnet
estampillé Cook and C°, une provision de joies et de plaisirs.
Quand, le soir, réunies de nouveau sous la lampe d'Avertie, elles
étalèrent leurs dernières emplettes, voiles, gants, cahiers de notes, sacs
à éponges neufs, Floche reparla de sa valise--la grosse dépense:
--Je l'ai finalement achetée chez Dewy. J'étais d'abord allée dans tous
les magasins pour me rendre compte des prix. Oh! j'ai bien dépensé six
francs de fiacre et c'est chez ce sale juif que je l'ai trouvée! C'est une
chose magnifique, ma valise! De 95 fr. je l'ai fait baisser à 60, parce
qu'elle avait «fait vitrine». Elle n'est pas en peau de cochon, mais en
vache et couleur arc-en-ciel.
CHAPITRE II
Le soir du départ était arrivé. Avertie, après avoir installé son sac en
«première classe», parcourait le long couloir du train à la recherche de
son amie, quand elle avisa dans un compartiment, sorte d'antre noir,
tous rideaux tirés, une forme vague, immobile et entourée de nombreux
paquets. C'était Floche.
--Ah! vous voilà, enfin! dit celle-ci à voix basse, en parlant du nez pour
ajouter au mystère. Vous voyez, j'ai tout retenu et éteint. Comme ça, les
gens ont peur; ils ne comprennent pas ce qui se passe; ils prennent les
paquets pour un malade et ne montent pas dans votre compartiment.
--Fort bien, mais vous êtes en
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.