Le Ventre de Paris | Page 8

Emile Zola
superbe sur ces gredins de choux.
Il montrait du geste toute la longueur du carreau. La mara?ch��re reprit:
--?Eh bien, je m'en vais. Adieu... �� bient?t, monsieur Claude!
Et comme elle partait, pr��sentant Florent au jeune peintre:
--?Tenez, voil�� monsieur qui revient de loin, para?t-il. Il ne se reconna?t plus dans votre gueux de Paris. Vous pourriez peut-��tre lui donner un bon renseignement.
Elle s'en alla enfin, heureuse de laisser les deux hommes ensemble. Claude regardait Florent avec int��r��t; cette longue figure, mince et flottante, lui semblait originale. La pr��sentation de madame Fran?ois suffisait; et, avec la familiarit�� d'un flaneur habitu�� �� toutes les rencontres de hasard, il lui dit tranquillement:
--?Je vous accompagne. O�� allez-vous?
Florent resta g��n��. Il se livrait moins vite; mais, depuis son arriv��e, il avait une question sur les l��vres. Il se risqua, il demanda, avec la peur d'une r��ponse facheuse:
--?Est-ce que la rue Pirouette existe toujours?
--?Mais oui, dit le peintre. Un coin bien curieux du vieux Paris, cette rue-l��! Elle tourne comme une danseuse, et les maisons y ont des ventres de femme grosse... J'en ai fait une eau-forte pas trop mauvaise. Quand vous viendrez chez moi, je vous la montrerai... C'est l�� que vous allez?
Florent, soulag��, ragaillardi par la nouvelle que la rue Pirouette existait, jura que non, assura qu'il n'avait nulle part �� aller. Toute sa m��fiance se r��veillait devant l'insistance de Claude.
--??a ne fait rien, dit celui-ci, allons tout de m��me rue Pirouette. La nuit, elle est d'une couleur!... Venez donc, c'est �� deux pas.
Il dut le suivre. Ils marchaient c?te �� c?te, comme deux camarades, enjambant les paniers et les l��gumes. Sur le carreau de la rue Rambuteau, il y avait des tas gigantesques de choux-fleurs, rang��s en piles comme des boulets, avec une r��gularit�� surprenante. Les chairs blanches et tendres des choux s'��panouissaient, pareilles �� d'��normes roses, au milieu des grosses feuilles vertes, et les tas ressemblaient �� des bouquets de mari��e, align��s dans des jardini��res colossales. Claude s'��tait arr��t��, en poussant de petits cris d'admiration.
Puis, en face, rue Pirouette, il montra, expliqua chaque maison. Un seul bec de gaz br?lait dans un coin. Les maisons, tass��es, renfl��es, avan?aient leurs auvents comme ??des ventres de femme grosse,?? selon l'expression du peintre, penchaient leurs pignons en arri��re, s'appuyaient aux ��paules les unes des autres. Trois ou quatre, au contraire, au fond de trous d'ombre, semblaient pr��s de tomber sur le nez. Le bec de gaz en ��clairait une, tr��s-blanche, badigeonn��e �� neuf, avec sa taille de vieille femme cass��e et avachie, toute poudr��e �� blanc, peinturlur��e comme une jeunesse. Puis la file bossu��e des autres s'en allait, s'enfon?ant en plein noir, l��zard��e, verdie par les ��coulements des pluies, dans une d��bandade de couleurs et d'attitudes telle, que Claude en riait d'aise. Florent s'��tait arr��t�� au coin de la rue de Mond��tour, en face de l'avant-derni��re maison, �� gauche. Les trois ��tages dormaient, avec leurs deux fen��tres sans persiennes, leurs petits rideaux blancs bien tir��s derri��re les vitres; en haut, sur les rideaux de l'��troite fen��tre du pignon, une lumi��re allait et venait. Mais la boutique, sous l'auvent, paraissait lui causer une ��motion extraordinaire. Elle s'ouvrait. C'��tait un marchand d'herbes cuites; au fond, des bassines luisaient; sur la table d'��talage, des pat��s d'��pinards et de chicor��e, dans des terrines, s'arrondissaient, se terminaient en pointe, coup��s, derri��re, par de petites pelles, dont on ne voyait que le manche de m��tal blanc. Cette vue clouait Florent de surprise; il devait ne pas reconna?tre la boutique; il lut le nom du marchand, _Godeboeuf_, sur une enseigne rouge, et resta constern��. Les bras ballants, il examinait les pat��s d'��pinards, de l'air d��sesp��r�� d'un homme auquel il arrive quelque malheur supr��me.
Cependant, la fen��tre du pignon s'��tait ouverte, une petite vieille se penchait, regardait le ciel, puis les Halles, au loin.
--?Tiens! mademoiselle Saget est matinale, dit Claude qui avait lev�� la t��te.
Et il ajouta, en se tournant vers son compagnon:
--?J'ai eu une tante, dans cette maison-l��. C'est une bo?te �� cancans... Ah! voil�� les M��hudin qui se remuent; il y a de la lumi��re au second.
Florent allait le questionner, mais il le trouva inqui��tant, dans son grand paletot d��teint; il le suivit, sans mot dire, tandis que l'autre lui parlait des M��hudin. C'��taient des poissonni��res; l'a?n��e ��tait superbe; la petite, qui vendait du poisson d'eau douce, ressemblait �� une vierge de Murillo, toute blonde au milieu de ses carpes et de ses anguilles. Et il en vint �� dire, en se fachant, que Murillo peignait comme un polisson. Puis, brusquement, s'arr��tant au milieu de la vue:
--?Voyons, o�� allez-vous, �� la fin!
--?Je ne vais nulle part, �� pr��sent, dit Florent accabl��. Allons o�� vous voudrez.
Comme il sortait de la rue Pirouette, une voix appela Claude, du fond de la boutique d'un marchand de vin, qui faisait le coin. Claude entra, tra?nant Florent �� sa suite.
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