Le Ventre de Paris | Page 9

Emile Zola
Il n'y avait qu'un c?t�� des volets enlev��. Le gaz br?lait dans l'air encore endormi de la salle; un torchon oubli��, les cartes de la veille, tra?naient sur les tables, et le courant d'air de la porte grande ouverte mettait sa pointe fra?che au milieu de l'odeur chaude et renferm��e du vin. Le patron, monsieur Lebigre servait les clients, en gilet �� manches, son collier de barbe tout chiffonn��, sa grosse figure r��guli��re toute blanche de sommeil. Des hommes, debout, par groupes, buvaient devant le comptoir, toussant, crachant, les yeux battus, achevant de s'��veiller dans le vin blanc et dans l'eau-de-vie. Florent reconnut Lacaille, dont le sac, �� cette heure, d��bordait de l��gumes. Il en ��tait �� la troisi��me tourn��e, avec un camarade, qui racontait longuement l'achat d'un panier de pommes de terre. Quand il eut vid�� son verre, il alla causer avec monsieur Lebigre, dans un petit cabinet vitr��, au fond, o�� le gaz n'��tait pas allum��.
--?Que voulez-vous prendre? demanda Claude �� Florent.
En entrant, il avait serr�� la main de l'homme qui l'invitait. C'��tait un fort, un beau gar?on de vingt-deux ans au plus, ras��, ne portant que de petites moustaches, l'air gaillard, avec son vaste chapeau enduit de craie et son colletin de tapisserie, dont les bretelles serraient son bourgeron bleu. Claude l'appelait Alexandre, lui tapait sur les bras, lui demandait quand ils iraient �� Charentonneau. Et ils parlaient d'une grande partie qu'ils avaient faite ensemble, en canot, sur la Marne. Le soir, ils avaient mang�� un lapin.
--?Voyons, que prenez-vous? r��p��ta Claude.
Florent regardait le comptoir, tr��s-embarrass��. Au bout, des th��i��res de punch et de vin chaud, cercl��es de cuivre, chauffaient sur les courtes flammes bleues et roses d'un appareil �� gaz. Il confessa enfin qu'il prendrait volontiers quelque chose de chaud. Monsieur Lebigre servit trois verres de punch. Il y avait, pr��s des th��i��res, dans une corbeille, des petits pains au beurre qu'on venait d'apporter et qui fumaient. Mais les autres n'en prirent pas, et Florent but son verre de punch; il le sentit qui tombait dans son estomac vide, comme un filet de plomb fondu. Ce fut Alexandre qui paya.
--?Un bon gar?on, cet Alexandre, dit Claude, quand ils se retrouv��rent tous les deux sur le trottoir de la rue Rambuteau. Il est tr��s-amusant �� la campagne; il fait des tours de force; puis, il est superbe, le gredin; je l'ai vu nu, et s'il voulait me poser des acad��mies, en plein air... Maintenant, si cela vous pla?t, nous allons faire un tour dans les Halles.
Florent le suivait, s'abandonnait. Une lueur claire, au fond de la rue Rambuteau, annon?ait le jour. La grande voix des Halles grondait plus haut; par instants, des vol��es de cloche, dans un pavillon ��loign��, coupaient cette clameur roulante et montante. Ils entr��rent sous une des rues couvertes, entre le pavillon de la mar��e et le pavillon de la volaille. Florent levait les yeux, regardait la haute vo?te, dont les boiseries int��rieures luisaient, entre les dentelles noires des charpentes de fonte. Quand il d��boucha dans la grande rue du milieu, il songea �� quelque ville ��trange, avec ses quartiers distincts, ses faubourgs, ses villages, ses promenades et ses routes, ses places et ses carrefours, mise tout enti��re sous un hangar, un jour de pluie, par quelque caprice gigantesque. L'ombre, sommeillant dans les creux des toitures, multipliait la for��t des piliers, ��largissait �� l'infini les nervures d��licates, les galeries d��coup��es, les persiennes transparentes; et c'��tait, au-dessus de la ville, jusqu'au fond des t��n��bres, toute une v��g��tation, toute une floraison, monstrueux ��panouissement de m��tal, dont les tiges qui montaient en fus��e, les branches qui se tordaient et se nouaient, couvraient un monde avec les l��g��ret��s de feuillage d'une futaie s��culaire. Des quartiers dormaient encore, clos de leurs grilles. Les pavillons du beurre et de la volaille alignaient leurs petites boutiques treillag��es, allongeaient leurs ruelles d��sertes sous les files des becs de gaz. Le pavillon de la mar��e venait d'��tre ouvert; des femmes traversaient les rang��es de pierres blanches, tach��es de l'ombre des paniers et des linges oubli��s. Aux gros l��gumes, aux fleurs et aux fruits, le vacarme allait grandissant. De proche en proche, le r��veil gagnait la ville, du quartier populeux o�� les choux s'entassent d��s quatre heures du matin, au quartier paresseux et riche qui n'accroche des poulardes et des faisans �� ses maisons que vers les huit heures.
Mais, dans les grandes rues couvertes, la vie affluait. Le long des trottoirs, aux deux bords, des mara?chers ��taient encore l��, de petits cultivateurs, venus des environs de Paris, ��talant sur des paniers leur r��colte de la veille au soir, bottes de l��gumes, poign��es de fruits. Au milieu du va-et-vient incessant de la foule, des voitures entraient sous les vo?tes, en ralentissant le trot sonnant de leurs chevaux. Deux de ces voitures, laiss��es en travers, barraient la
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