Le Ventre de Paris | Page 7

Emile Zola
de paniers bas, s'alignaient, couverts de toile ou de paille; et une odeur de mirabelles trop m?res tra?nait. Une voix douce et lente, qu'il entendait depuis longtemps, lui fit tourner la t��te. Il vit une adorable petite femme brune, assise par terre, qui marchandait.
--?Dis donc, Marcel, vends-tu pour cent sous, dis?
L'homme, enfoui dans une limousine, ne r��pondait pas, et la jeune femme, au bout de cinq grandes minutes, reprenait:
--?Dis, Marcel, cent sous ce panier-l��, et quatre francs l'autre, ?a fait-il neuf francs qu'il faut le donner?
Un nouveau silence se fit:
--?Alors qu'est-ce qu'il faut te donner?
--?Eh! dix francs, tu le sais bien, je te l'ai dit... Et ton Jules, qu'est-ce que tu en fais, la Sarriette?
La jeune femme se mit �� rire, en tirant une grosse poign��e de monnaie.
--?Ah bien! reprit-elle, Jules dort sa grasse matin��e... Il pr��tend que les hommes, ce n'est pas fait pour travailler.
Elle paya, elle emporta les deux paniers dans le pavillon aux fruits qu'on venait d'ouvrir. Les Halles gardaient leur l��g��ret�� noire, avec les mille raies de flamme des persiennes; sous les grandes rues couvertes, du monde passait, tandis que les pavillons, au loin, restaient d��serts, au milieu du grouillement grandissant de leurs trottoirs. �� la pointe Saint-Eustache, les boulangers et les marchands de vins ?taient leurs volets; les boutiques rouges, avec leurs becs de gaz allum��s, trouaient les t��n��bres, le long des maisons grises. Florent regardait une boulangerie, rue Montorgueil, �� gauche, toute pleine et toute dor��e de la derni��re cuisson, et il croyait sentir la bonne odeur du pain chaud. Il ��tait quatre heures et demie.
Cependant, madame Fran?ois s'��tait d��barrass��e de sa marchandise. Il lui restait quelques bottes de carottes, quand Lacaille reparut, avec son sac.
--?Eh bien, ?a va-t-il �� un sou? dit-il.
--?J'��tais bien s?re de vous revoir, vous, r��pondit tranquillement la mara?ch��re. Voyons, prenez mon reste. Il y a dix-sept bottes.
--??a fait dix-sept sous.
--?Non, trente-quatre.
Ils tomb��rent d'accord �� vingt-cinq. Madame Fran?ois ��tait press��e de s'en aller. Lorsque Lacaille se fut ��loign��, avec ses carottes dans son sac:
--?Voyez-vous, il me guettait, dit-elle �� Florent. Ce vieux-l�� _rale_ sur tout le march��; il attend quelquefois le dernier coup de cloche, pour acheter quatre sous de marchandise... Ah! ces Parisiens! ?a se chamaille pour deux liards, et ?a va boire le fond de sa bourse chez le marchand de vin.
Quand madame Fran?ois parlait de Paris, elle ��tait pleine d'ironie et de d��dain; elle le traitait en ville tr��s-��loign��e, tout �� fait ridicule et m��prisable, dans laquelle elle ne consentait �� mettre les pieds que la nuit.
--?�� pr��sent, je puis m'en aller, reprit-elle en s'asseyant de nouveau pr��s de Florent, sur les l��gumes d'une voisine.
Florent baissait la t��te, il venait de commettre un vol. Quand Lacaille s'en ��tait all��, il avait aper?u une carotte par terre. Il l'avait ramass��e, il la tenait serr��e dans sa main droite. Derri��re lui, des paquets de c��leris, des tas de persil mettaient des odeurs irritantes qui le prenaient �� la gorge.
--?Je vais m'en aller, r��p��ta madame Fran?ois.
Elle s'int��ressait �� cet inconnu, elle le sentait souffrir, sur ce trottoir, dont il n'avait pas remu��. Elle lui fit de nouvelles offres de service; mais il refusa encore, avec une fiert�� plus apre. Il se leva m��me, se tint debout, pour prouver qu'il ��tait gaillard. Et, comme elle tournait la t��te, il mit la carotte dans sa bouche. Mais il dut la garder un instant, malgr�� l'envie terrible qu'il avait de serrer les dents; elle le regardait de nouveau en face, elle l'interrogeait, avec sa curiosit�� de brave femme. Lui, pour ne pas parler, r��pondait par des signes de t��te. Puis, doucement, lentement, il mangea la carotte.
La mara?ch��re allait d��cid��ment partir, lorsqu'une voix forte dit tout �� c?t�� d'elle:
--?Bonjour, madame Fran?ois.
C'��tait un gar?on maigre, avec de gros os, une grosse t��te, barbu, le nez tr��s-fin, les yeux minces et clairs. Il portait un chapeau de feutre noir, roussi, d��form��, et se boutonnait au fond d'un immense paletot, jadis marron tendre, que les pluies avaient d��teint en larges tra?n��es verdatres. Un peu courb��, agit�� d'un frisson d'inqui��tude nerveuse qui devait lui ��tre habituel, il restait plant�� dans ses gros souliers lac��s; et son pantalon trop court montrait ses bas bleus.
--?Bonjour, monsieur Claude, r��pondit gaiement la mara?ch��re. Vous savez, je vous ai attendu, lundi; et comme vous n'��tes pas venu, j'ai gar�� votre toile; je l'ai accroch��e �� un clou, dans ma chambre.
--?Vous ��tes trop bonne, madame Fran?ois, j'irai terminer mon ��tude, un de ces jours... Lundi, je n'ai pas pu... Est-ce que votre grand prunier a encore toutes ses feuilles?
--?Certainement.
--?C'est que, voyez-vous, je le mettrai dans un coin du tableau. Il fera bien, �� gauche du poulailler. J'ai r��fl��chi �� ?a toute la semaine... Hein! les beaux l��gumes, ce matin je suis descendu de bonne heure, me doutant qu'il y aurait un lever de soleil
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