Le Ventre de Paris | Page 6

Emile Zola
d��j�� ses navets �� mon p��re. Et pas un parent avec ?a, rien qu'une coureuse qu'elle a ramass��e je ne sais o��, et qui la fait damner... Eh bien, elle vivote, elle vend au petit tas, elle se fait encore ses quarante sous par jour... Moi, je ne pourrais pas rester dans ce diable de Paris, toute la journ��e, sur un trottoir. Si l'on y avait quelques parents, au moins!
Et, comme Florent ne causait gu��re:
--?Vous avez de la famille �� Paris, n'est-ce pas? demanda-t-elle.
Il parut ne pas entendre. Sa m��fiance revenait. Il avait la t��te pleine d'histoires de police, d'agents guettant �� chaque coin de rue, de femmes vendant les secrets qu'elles arrachaient aux pauvres diables. Elle ��tait tout pr��s de lui, elle lui semblait pourtant bien honn��te, avec sa grande figure calme, serr��e au front par un foulard noir et jaune. Elle pouvait avoir trente-cinq ans, un peu forte, belle de sa vie en plein air et de sa virilit�� adoucie par des yeux noirs d'une tendresse charitable. Elle ��tait certainement tr��s-curieuse, mais d'une curiosit�� qui devait ��tre toute bonne.
Elle reprit, sans s'offenser du silence de Florent:
--?Moi, j'ai eu un neveu �� Paris. Il a mal tourn��, il s'est engag��... Enfin, c'est heureux quand on sait o�� descendre. Vos parents, peut-��tre, vont ��tre bien surpris de vous voir. Et c'est une joie quand on revient, n'est-ce pas?
Tout en parlant, elle ne le quittait pas des yeux, apitoy��e sans doute par son extr��me maigreur, sentant que c'��tait un ??monsieur,?? sous sa lamentable d��froque noire, n'osant lui mettre une pi��ce blanche dans la main.
Enfin, timidement:
--?Si, en attendant, murmura-t-elle, vous aviez besoin de quelque chose...
Mais il refusa avec une fiert�� inqui��te; il dit qu'il avait tout ce qu'il lui fallait, qu'il savait o�� aller. Elle parut heureuse, elle r��p��ta plusieurs fois, comme pour se rassurer elle-m��me sur son sort:
--?Ah! bien, alors, vous n'avez qu'�� attendre le jour.
Une grosse cloche, au-dessus de la t��te de Florent, au coin du pavillon des fruits, se mit �� sonner. Les coups, lents et r��guliers, semblaient ��veiller de proche en proche le sommeil tra?nant sur le carreau. Les voitures arrivaient toujours; les cris des charretiers, les coups de fouet, les ��crasements du pav�� sous le fer des roues et le sabot des b��tes, grandissaient; et les voitures n'avan?aient plus que par secousses, prenant la file, s'��tendant au del�� des regards, dans des profondeurs grises, d'o�� montait un brouhaha confus. Tout le long de la rue du Pont-Neuf, on d��chargeait, les tombereaux accul��s aux ruisseaux, les chevaux immobiles et serr��s, rang��s comme dans une foire. Florent s'int��ressa �� une ��norme voiture de boueux, pleine de choux superbes, qu'on avait eu grand'peine �� faire reculer jusqu'au trottoir; la charge d��passait un grand diable de bec de gaz plant�� �� c?t��, ��clairant en plein l'entassement des larges feuilles, qui se rabattaient comme des pans de velours gros vert, d��coup�� et gaufr��. Une petite paysanne de seize ans, en casaquin et en bonnet de toile bleue, mont��e dans le tombereau, ayant des choux jusqu'aux ��paules, les prenait un �� un, les lan?ait �� quelqu'un que l'ombre cachait, en bas. La petite, par moments, perdue, noy��e, glissait, disparaissait sous un ��boulement; puis, son nez rose reparaissait au milieu des verdures ��paisses; elle riait, et les choux se remettaient �� voler, �� passer entre le bec de gaz et Florent. Il les comptait machinalement. Quand le tombereau fut vide, cela l'ennuya.
Sur le carreau, les tas d��charg��s s'��tendaient maintenant jusqu'�� la chauss��e. Entre chaque tas, les mara?chers m��nageaient un ��troit sentier pour que le monde p?t circuler. Tout le large trottoir, couvert d'un bout �� l'autre, s'allongeait, avec les bosses sombres des l��gumes. On ne voyait encore, dans la clart�� brusque et tournante des lanternes, que l'��panouissement charnu d'un paquet d'artichauts, les verts d��licats des salades, le corail rose des carottes, l'ivoire mat des navets; et ces ��clairs de couleurs intenses filaient le long des tas, avec les lanternes. Le trottoir s'��tait peupl��; une foule s'��veillait, allait entre les marchandises, s'arr��tant, causant, appelant. Une voix forte, au loin, criait: ??Eh! la chicor��e!?? On venait d'ouvrir les grilles du pavillon aux gros l��gumes; les revendeuses de ce pavillon, en bonnets blancs, avec un fichu nou�� sur leur caraco noir, et les jupes relev��es par des ��pingles pour ne pas se salir, faisaient leur provision du jour, chargeaient de leurs achats les grandes hottes des porteurs pos��es �� terre. Du pavillon �� la chauss��e, le va-et-vient des hottes s'animait, au milieu des t��tes cogn��es, des mots gras, du tapage des voix s'enrouant �� discuter un quart d'heure pour un sou. Et Florent s'��tonnait du calme des mara?ch��res, avec leurs madras et leur teint hal��, dans ce chipotage bavard des Halles.
Derri��re lui, sur le carreau de la rue Rambuteau, on vendait les fruits. Des rang��es de bourriches,
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