Le Tour du Monde | Page 8

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je n'ai jamais eu la chance d'en être témoin.
[Illustration: Cimetière européen à Suez.--Dessin de Karl Girardet d'après un dessin de M. Guillaume Lejean.]
Enfin, le 14, je monte à bord de l'Hedjaz, beau bateau à vapeur de la compagnie Medjidié, que je trouve encombré de hadjis allant à la Mecque; principalement de la suite de la princesse Nezli, tante du vice-roi et veuve du fameux Defterdar, dont j'aurai plus tard occasion de parler. Cette suite se compose de cent vingt à en grande majorité. La vertu du troupeau est sous la garde d'une douzaine d'eunuques noirs, et le kirlar-aga (capitaine des filles) est à la fois le chef de cette garde indispensable et le premier officier de la petite cour; c'est un long nègre de plus de six pieds, d'une laideur inou?e, mais se faisant pardonner le scandale de son importance par ses allures bon enfant. Nous mettons de longues heures à sortir de la baie-impasse de Suez; le 15, au matin, nous fouillons d'un regard curieux et admiratif les dures arêtes des derniers contre-forts du Sina?, qui se perdent et se volatilisent en quelque sorte dans un ciel de saphir. Pas un brin d'herbe, du reste, sur ces c?tes qui entourent, nous dit-on, quelques vallées intérieures d'un charme d'autant plus saisissant qu'il est plus inattendu. Le mont divin, vu de loin, n'a rien de cet aspect sourcilleux et formidable que l'imagination, pleine des récits de Mo?se, aimerait à lui prêter: il a les lignes pures, froides et fières que j'ai admirées ailleurs, en Albanie par exemple.
[Illustration: Qosséir.--Dessin de Karl Girardet d'après un dessin de M. Guillaume Lejean.]
[Illustration: Djeddah.--Dessin de Karl Girardet d'après un dessin de M. Guillaume Lejean.]
[Illustration: Port de Souakin.--Dessin de Karl Girardet d'après un dessin de M. Guillaume Lejean.]
à l'entrée de la baie se voit une petite ville, Tor, habitée par des Coptes (et non par des Grecs, comme l'a dit par inadvertance M. Charles Didier). Les deux peuples n'ont guère de commun que le culte et la finesse mercantile. à première vue et à part le costume, un habitant de l'Orient ne confondra jamais la longue figure à lame de couteau du paisible et un peu servile descendant des Pharaons avec le profil d'aigle des fils de Thémistocle. La population de Tor vit principalement d'un assez singulier commerce: elle vend aux pèlerins l'eau qu'elle tire des fontaines de Mo?se et du Sina?.
L'Hedjaz a le temps de flaner et ne le prouve que trop en s'arrêtant successivement à Qosséir et à Djambo. Qosséir est une petite ville de mine assez peu engageante, mais elle a beaucoup de barques, et quelques arbres qui ombragent un village voisin reposent l'oeil fort agréablement. C'est, avec Suez, le seul port que possède l'égypte sur la mer Rouge, depuis qu'elle a perdu l'Arabie. Méhémet-Ali avait de grands desseins sur Qosséir: il voulait en faire le débouché de toute la haute égypte par Khéné, et avait commencé à faire creuser des puits entre les deux villes, mais on ne trouva que de l'eau saumatre et le projet fut abandonné.
J'ai moins encore à dire de Djambo, où nous perdons un jour entier. Djambo est en terre arabe, même en terre sainte, et j'avoue que je ne vois pas sans émotion sortir des flots cette c?te basse et un peu verdoyante, foyer d'une des plus brillantes civilisations qui aient éclairé le globe. Hélas! qu'est devenue l'Arabie des kalifes? Il ne reste aujourd'hui que les Arabes, c'est-à-dire une race belle, distinguée, brave, spirituelle, intelligente, romanesque, paresseuse et passablement anarchique. Aussi les Turcs, peuple d'esprit plus lourd, mais de bon sens pratique, ont mis la main sur le peuple arabe et l'ont soumis partout où ils s'en sont donné la peine. L'égypte moderne est arabe, mais la forte main qui l'a lancée dans la brillante voie qu'elle parcourt aujourd'hui est celle d'un Turc de Macédoine, ce qui n'empêche pas d'ailleurs que l'impulsion une fois donnée, beaucoup d'Arabes (et j'en connais) ne soient les agents les plus énergiques et les plus intelligents de cette civilisation.
Terre sainte, ici, c'est malheureusement terre de fanatiques: on nous avertit de ne pas descendre à terre, ou nous serons assommés, même sous les yeux des kavas du gouverneur. Le Fran?ais étant, comme on sait, le brave des braves, un des n?tres, M. M..., se costume en Robinson, empistoletté de la tête aux pieds et veut descendre. Il est obligé de rentrer à bord, sans avoir occis de croquemitaines musulmans. Ceci nous fait faire des réflexions peu rassurantes sur Djeddah, la fameuse ville du massacre, où nous arrivons le lendemain. Nous jetons l'ancre à une heure de la ville, en dehors de récifs coralliques, et nous nous empressons de déballer la princesse et son noir bétail qui a empesté l'arrière depuis huit jours. Un de nos officiers, un jeune et aimable Vénitien, que l'irruption de
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