ou trois places, dont la plus petite et la plus pittoresque est celle du Marché aux grains, dont j'ai pris le croquis joint à ces notes. à l'angle d'une ruelle qui mène au bazar, ruelle obscure et sale, mais d'un ton superbe pour un admirateur des effets vigoureux de lumière, s'élève une maison d'un riche négociant (grec, si je ne me trompe) aussi curieuse dans son genre que le sont chez nous les vieilles maisons de Gand ou de Nuremberg.
Une dernière curiosité de Suez, c'est la maison qu'habitait le général Bonaparte quand il vint à la mer Rouge. C'est une habitation qui fait face à la mer, sans aucun caractère monumental et que Clot-Bey trouva, il y a plusieurs années, en possession d'un brave musulman passionné pour la mémoire de son illustre locataire d'un jour. ?Abounarberdi, dit-il au docteur, était assez puissant pour br?ler toutes les mosquées; il ne l'a pas fait; que son nom soit béni! Les rois du Garb (d'Occident) l'ont enfermé dans une ?le où il est mort; mais on dit que la nuit son ame vient se poser sur le fil de son sabre.?
Suez a succédé à une ancienne ville romaine dont nous cherchons les ruines; elles se réduisent à une grosse colline de sable et de poteries sans valeur archéologique, véritable Monte Testaccio égyptien appelé aujourd'hui la colline de Mouchelet-Bey, du nom d'un ingénieur qui y a établi sa tente. Pour nous dédommager, je propose à Georges une excursion aux ruines indiquées par la carte de M. Linant-Bey, comme étant celles d'une antique ville juive, à deux bonnes heures au nord-est et au delà de la baie. Des ruines juives! Il y a de quoi affriander des amateurs même beaucoup plus étrangers aux antiquités hébra?ques que M. de Saulcy. Nous voilà partis le matin, traversant le port à mer basse, et arpentant, les jambes nues, la vaste plage coupée de flaques limpides. Le but semble s'éloigner toujours; ces plages unies sont si trompeuses à la vue. Nous nous décidons à rétrograder; mais à la première flaque où je mets le pied, je constate un courant de mena?ant augure.... Il faut savoir que dans cette baie étranglée de Suez, la marée monte comme un vrai mascaret: on dirait nos grèves du mont Saint-Michel. Nous pressons le pas pour arriver en vue de la ville, de manière à pouvoir héler une barque. Si nous n'y réussissons pas, nous sommes rejetés vers le désert montagneux de la c?te d'Asie, et cela peut devenir inquiétant. Georges se livre, sur le sort de l'armée de Pharaon, à des plaisanteries que je trouve un peu inopportunes; mais tout en riant, il trouve un passage, et nous gagnons un ?lot d'où nous hélons les barques du port. La canaille arabe qui encombre le divarf fait de grands gestes et semble discuter vivement la taille, l'age et le sexe des deux êtres égarés sur l'?lot; mais nul ne bouge. à un appel plus furieux, un batelier démarre sa barque, et met le cap sur nous. L'eau monte, l'?lot décro?t, l'homme arrive.... il n'est que temps. Nous sautons à bord: le fils d'Isma?l tend la main: ?El felous, haouagh (l'argent, seigneurs)!? Georges veut payer sans compter; je trouve amusant de discuter le prix de notre sauvetage, et nous nous arrangeons à six piastres courantes (vingt-deux sols). On ne peut pas sauver les gens à meilleur marché.
[Illustration: Port de Suez.--Dessin de Karl Girardet d'après un dessin de M. Guillaume Lejean.]
Georges part le surlendemain pour remonter le Nil; j'ai encore trois jours à passer à Suez avant le départ du vapeur Hedjaz, qui doit m'emmener à Souakin. Je passe ces trois jours à flaner au désert et à observer pour la première fois des effets de mirage assez curieux. Tous les jours, dans l'après-midi, je suis certain de trouver le fort d'Aggeroud reflété dans les eaux d'un lac imaginaire. Un train vient à passer, la ligne noire des wagons, la ligne blanche de la fumée se réfléchissent également dans la nappe limpide. J'ai vu assez fréquemment se former le mirage; on voit d'abord passer un nuage invisible,--ici le lecteur m'arrête: voir passer un nuage invisible? Oui, et je vais tacher de me faire comprendre par une image très-familière. Avez-vous vu quelquefois, au-dessus d'une marmite en ébullition, la vapeur d'eau parfaitement translucide et invisible signaler sa présence par le flottement qu'elle semble imprimer aux objets devant lesquels elle passe? Voilà le commencement du mirage. Quand ce nuage, à la fois invisible et ondé, devient opaque, son mouvement cesse, et vous n'avez plus sous les yeux qu'une belle nappe argentée qui réfléchit les objets les plus voisins, arbres, villages, rochers. Voilà le mirage simple. Quant à celui qui nous met sous les yeux des villes ou des forêts, soit imaginaires, soit hors de la portée de la vue,
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