ces dames a chassé de sa cabine, a voulu poser sa couchette près d'un réduit où cinq de ces femmes ont établi leur chambre à coucher avec des chales tendus le long du bastingage. Je ris encore de la grimace effroyable qu'il fait en emportant son lit loin de cette niche odorante: bestie, non donne, s'écrie-t-il en jurant.
Suivant le rite consacré, les hadjis revêtent, pour toucher la terre sacrée, un costume d'une éclatante blancheur, symbole de la pureté de l'ame. C'est un usage dont on ne peut s'affranchir qu'en payant un mouton, qui est donné aux pèlerins pauvres. Le médecin de la princesse, homme instruit et distingué dont la conversation a été une de nos meilleures distractions de voyage, musulman très-voltairien du reste, est le seul à payer le mouton. à Qosséir, le docteur a présenté un verre de vin à un noir takrouri, à dents aiguisées en pointe, venu par curiosité, je crois, visiter la barque du feu; il lui a offert cinq piastres s'il voulait en boire. ?Tu pourrais bien m'en offrir vingt-cinq, a répondu le noir, que je n en boirais pas davantage.? Je ne discuterai point l'importance de ces prescriptions d'abstinence, mais j'aime à constater tout triomphe de l'esprit sur les appétits, et à qui conna?t la pauvreté des noirs, d'une part, et de l'autre leur passion pour les spiritueux, ce jeune nègre presque nu qui obéit à sa foi sans phrase et sans pose héro?que, doit para?tre plus spiritualiste que le joyeux docteur. J'aurai plus tard occasion de dire comment les noirs, assez récemment convertis à l'islamisme, s'y attachent avec une ferveur devenue beaucoup plus rare chez les Turcs et les Arabes.
Nous débarquons donc à Djeddah, et la première chose qui frappe nos yeux, en touchant le quai, ce sont des notables indigènes à barbe blanche, qui semblent venus là pour préparer une ovation à quelqu'un. Ce n'est pas à la princesse déjà débarquée; ce n'est pas à nous à coup s?r. Nous avons bient?t la clef du mystère: nous avions à bord, sans nous en douter, quatre des accusés du fameux massacre, revenus acquittés de Constantinople, faute de preuves.
C'est un début fort inquiétant; mais je dois déclarer que j'ai passé huit jours à Djeddah, et que j'ai circulé fort librement sans être jamais insulté. Les voyageurs n'ont guère à visiter, dans cette ville et dans les environs, que le cimetière où l'on montre le tombeau de notre mère ève (Turbe ommou Aoua); ce sont deux sépultures insignifiantes qui, selon les indigènes, marquent l'emplacement de la tête et des pieds de la première femme. Si vous leur objectez que, vu la distance de ces deux turbés, ève aurait été assez grande pour franchir le Nil en cinq enjambées et saisir délicatement un crocodile entre deux doigts, ils vous répondront que la mère du genre humain avait bien le droit d'avoir une stature un peu supérieure à celle de leur femme ou de la v?tre. C'est assez logique pour des Arabes.
Je quitte Djeddah le 28 février, et le lendemain, mes yeux fatigués des sables rougeatres se reposent avec bonheur sur une plage basse, verdoyante, où la mer vient presque baigner des tapis de hautes graminées. Une jolie baie s'ouvre devant nous, le bateau double un cap où s'élève le d?me blanc d'un santon, et une demi-heure après nous débarquons sur le quai du Mufti, à Souakin, où la curiosité a attiré une foule de spectateurs à tuniques aussi blanches que leur peau est foncée.
Guillaume LEJEAN.
VOYAGE AU MONT ATHOS,
PAR M. A. PROUST.
1858.--INéDIT.
Salonique. -- Juifs, Grecs et Bulgares. -- Les mosquées. -- L'Albanais Rabottas.
à l'extrémité de la péninsule Chalcidique, entre Orfano et le cap Felice, s'élève au-dessus de la mer une montagne, connue chez les anciens sous le nom d'Athos, et appelée depuis [Grec: Agionoros] ou Monte-Santo, à cause de sa population exclusivement composée de religieux. Ces religieux, sous les empereurs byzantins, ont aidé au mouvement des lettres et des arts qui prépara la Renaissance, et possèdent encore aujourd'hui de riches bibliothèques et une école de peinture.
J'avais formé, pendant mon séjour en Grèce, le projet de visiter leurs couvents, et, le 9 mai 1858, après m'être muni à Constantinople de lettres patriarcales, sans lesquelles on court le risque d'être mal accueilli des moines, je quittai Pera avec mon ami Schranz et le drogman Voulgaris. Schranz devait m'aider à reproduire les peintures par la photographie; Voulgaris se chargeait de la linguistique et de la cuisine. Notre projet était de toucher à Salonique, et de là de gagner l'Athos par terre.
Le 10 nous entrions dans le golfe Therma?que, et le lendemain nous doublions la pointe de Kara-Bournou.
Derrière cette pointe, au fond d'une large baie paisible comme un lac, Salonique[2], ceinte d'un cordon de murs bastionnés, s'étage en amphithéatre sur les flancs arides du Cortiah. Cette ville, déchue de sa splendeur,
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