la moitié de son corps et accompagnait le virtuose en sifflant. Alors Pietro commen?ait à battre la mesure en balan?ant sa tête à droite ou à gauche, et en faisant claquer ses pouces comme des castagnettes. Mais à la cinquième ou sixième mesure l'air magique opérait; une agitation visible s'emparait de Pietro, tout son corps se mettait en mouvement comme avaient fait d'abord ses mains; il se soulevait sur un genou, puis sur les deux, puis se redressait tout à fait. Alors, et pendant quelques instants encore, il se balan?ait de droite à gauche, mais sans quitter la terre; ensuite, comme si le plancher du batiment se f?t échauffé graduellement, il levait un pied, puis l'autre; et enfin, jetant un de ces petits cris que nous avons indiqués comme l'expression de sa joie, il commen?ait la fameuse danse nationale par un mouvement lent et uniforme d'abord, mais qui, s'accélérant toujours, pressé par la musique, se terminait par une espèce de gigue effrénée. La tarentelle ne prenait fin que lorsque le danseur épuisé tombait sans force, après un dernier entrechat dans lequel se résumait toute la scène chorégraphique.
Enfin venaient Sieni, dont je n'ai gardé aucun souvenir, et Ga?tano, que nous v?mes à peine, retenu qu'il fut à terre, pendant tout notre voyage, par une ophthalmie qui se déclara le lendemain de notre arrivée dans le détroit de Messine. Je ne parle pas du mousse; il était tout naturellement ce qu'est partout cette estimable classe de la société, le souffre-douleur de tout l'équipage. La seule différence qu'il y e?t entre lui et les autres individus de son espèce, c'est que, vu le bon naturel de ses compagnons, il était de moitié moins battu que s'il se f?t trouvé sur un batiment génois ou breton.
Et maintenant nos lecteurs connaissent l'équipage de la Santa Maria di Pie di Gratta aussi bien que nous-même.
Comme nous l'avons dit, tout l'équipage nous attendait sur le pont, et, amené sur son ancre, était prêt à partir. Je fis un dernier tour dans l'entrepont et dans la cabine pour m'assurer qu'on avait embarqué toutes nos provisions et tous nos effets. Dans l'entrepont, je trouvai Cama joyeusement établi entre les poulets et les canards destinés à notre table, et mettant en ordre sa batterie de cuisine. Dans la cabine, je trouvai nos lits tout couverts, et Milord déjà installé sur celui de son ma?tre. Tout était donc à sa place et à son poste. Le capitaine alors s'approcha de moi et me demanda mes ordres; je lui dis d'attendre cinq minutes.
Ces cinq minutes devaient être consacrées à donner de mes nouvelles à monsieur le comte de Ludorf. Je pris dans mon album une feuille de mon plus beau papier, et je lui écrivis la lettre suivante:
?Monsieur le comte,
Je suis désolé que Votre Excellence n'ait pas jugé à propos de me charger de ses commissions pour Naples; je m'en serais acquitté avec une fidélité qui lui e?t été une certitude de la reconnaissance que j'ai gardée de ses bons procédés envers moi.
Veuillez agréer, monsieur le comte, l'hommage des sentiments bien vifs que je vous ai voués, et dont un jour ou l'autre j'espère vous donner une preuve.
[Note: Cette preuve s'est fait attendre jusqu'en 1841, époque où j'ai publié la première édition de ce livre; mais, comme on le voit, j'ai rattrapé le temps perdu, et j'espère que M. le comte de Ludorf, qui a pu m'accuser d'oubli, reviendra de son erreur sur mon compte, si par hasard ces lignes ont l'honneur de passer sous ses yeux.]
ALEX. DUMAS
Naples, ce 23 ao?t 1835.?
Pendant que j'écrivais, l'ancre avait été levée, et les rameurs s'étaient mis à babord et à tribord, leurs avirons à la main, et se tenant prêts à partir. Je demandai au capitaine un homme s?r pour remettre ma lettre à la poste; il me désigna un des spectateurs que notre départ avait attirés, et qui était de sa connaissance. Je lui fis passer, par l'entremise d'une longue perche, ma lettre accompagnée de deux carlini, et j'eus la satisfaction de voir aussit?t mon commissionnaire s'éloigner à toutes jambes dans la direction de la poste.
Lorsqu'il eut disparu, je donnai le signal du départ. Les huit rames que nos hommes tenaient en l'air retombèrent ensemble et battirent l'eau à la fois. Dix minutes après, nous étions hors du port, et un quart d'heure plus tard, nous ouvrions toutes nos petites voiles à un excellent vent de terre qui promettait de nous mettre rapidement hors de la portée de tous les agents napolitains que monsieur le comte de Ludorf pourrait lancer à nos trousses.
Ce bon vent nous accompagna pendant quinze ou vingt milles à peu près; mais, à la hauteur de Sorrente, il mollit, et bient?t tomba tout à fait, de sorte que nous f?mes obligés de marcher de nouveau à la rame. Cela nous
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