donna le temps de nous apercevoir que la brise de mer nous avait ouvert l'appétit. En conséquence, parfaitement disposés à apprécier les qualités du protégé de monsieur Martin Zir, nous pr?mes notre plus belle basse-taille, et nous appelames Cama. Personne ne répondit. Inquiets de ce silence, nous envoyames Pietro et Giovanni à sa recherche, et cinq minutes après, nous le v?mes appara?tre à l'orifice de l'écoutille, pale comme un spectre, et soutenu sous chaque bras par ceux que nous avions envoyés à sa recherche, et qui l'avaient trouvé étendu sans mouvement entre ses canards et ses poules. Il était évidemment impossible au pauvre diable de se rendre à nos ordres. A peine s'il pouvait se soutenir sur ses jambes, et il tournait les yeux d'une fa?on lamentable. Pensant que le grand air lui ferait du bien, nous f?mes aussit?t apporter un matelas sur le pont, et on le coucha au pied du mat; c'était très bien pour lui; mais pour nous, cela ne nous avan?ait pas à grand-chose. Nous nous regardions, Jadin et moi, d'un air assez déconcerté, lorsque Giovanni vint se mettre à nos ordres, s'effor?ant de remplacer, pour le moment du moins, notre pauvre appassionato.
On juge si nous acceptames la proposition. Le capitaine, qui n'était pas fier, reprit aussit?t la rame que Giovanni venait d'abandonner. Cinq minutes ne s'étaient pas écoulées, que nous entend?mes les gémissements d'une poule que l'on égorgeait; bient?t nous v?mes la fumée s'échapper par l'écoutille; puis nous entend?mes l'huile qui criait sur le feu. Un quart d'heure après, nous tirions chacun notre part d'un poulet à la proven?ale, auquel il manquait peut-être bien quelque chose selon la _Cuisinière bourgeoise_, mais que, grace à ce susdit appétit qui s'était toujours maintenu en progrès, nous trouvames excellent. Dès lors nous f?mes rassurés sur notre avenir; Dieu nous rendait d'une main ce qu'il nous ?tait de l'autre.
Vers les deux heures, nous nous trouvames à la hauteur de l'?le de Caprée. Comme en perdant notre temps nous ne perdions pas grand-chose, attendu que, malgré le travail incessant de nos rameurs, nous ne faisions guère plus d'une demi-lieue à l'heure, je proposai à Jadin de descendre à terre pour visiter l'?le de Tibère, et de monter jusqu'aux ruines de son palais, que nous apercevions au tiers à peu près de la hauteur du mont Solaro. Jadin accepta de tout coeur, pensant qu'il y aurait quelque beau point de vue à croquer. Nous f?mes part aussit?t de nos intentions au capitaine qui mit le cap sur l'?le et, une heure après, nous entrions dans le port.
CAPRéE
Il y a peu de points dans le monde qui offrent autant de souvenirs historiques que Caprée. Ce n'était qu'une ?le comme toutes les ?les, plus riante peut-être, voilà tout, lorsqu'un jour Auguste résolut d'y faire un voyage. Au moment où il y abordait, un vieux chêne dont la sève semblait à tout jamais tarie releva ses branches desséchées et déjà penchées vers la terre, et dans la même journée l'arbre se couvrit de bourgeons et de feuilles. Auguste était l'homme aux présages; il fut si fort enchanté de celui-ci, qu'il proposa aux Napolitains de leur abandonner l'?le d'Oenarie s'ils voulaient lui céder celle de Caprée. L'échange fut fait à cette condition. Auguste fit de Caprée un lieu de délices, y demeura quatre ans, et lorsqu'il mourut, légua l'?le à Tibère.
Tibère s'y retira à son tour, comme se retire dans son antre un vieux tigre qui se sent mourir. Là seulement, entouré de vaisseaux qui nuit et jour le gardaient, il se crut à l'abri du poignard et du poison. Sur ces roches où il n'y a plus aujourd'hui que des ruines, s'élevaient alors douze villas impériales, portant les noms des douze grandes divinités de l'Olympe; dans ces villas, dont chacune servait durant un mois de l'année de forteresse à l'empereur, et qui étaient soutenues par des colonnes de marbre dont les chapiteaux dorés soutenaient des frises d'agate, il y avait des bassins de porphyre où étincelaient les poissons argentés du Gange, des pavés de mosa?que dont les dessins étaient formés d'opale, d'émeraudes et de rubis; des bains secrets et profonds, où des peintures lascives éveillaient des désirs terribles en retra?ant des voluptés inou?es. Autour de ces villas, aux flancs de ces montagnes nues aujourd'hui, s'élevaient alors deux forêts de cèdres et des bosquets d'orangers où se cachaient de beaux adolescents et de belles jeunes filles, qui, déguisés en faunes et en dryades, en satyres et en bacchantes, chantaient des hymnes à Vénus, tandis que d'invisibles instruments accompagnaient leurs voix amoureuses; et quand le soir était venu, quand une de ces nuits transparentes et étoilées comme l'Orient seul en sait faire pour l'amour, s'était abaissée sur la mer endormie; quand une brise embaumée, soufflant de Sorrente ou de Pompe?a, venait se mêler aux parfums que
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.