Le Speronare | Page 5

Alexandre Dumas, père
et que si, sans y penser, j'ai le malheur de l'envoyer �� la cuisine au moment du d?ner, alors tout est perdu. La discussion s'engage sur l'un ou sur l'autre de ces deux braves paladins, les gros mots arrivent, chacun exalte son h��ros et rabaisse celui de son adversaire; il n'est plus question que de coups d'��p��e, de g��ants occis, de chatelaines d��livr��es. De la cuisine, plus un mot; de sorte que le pot-au-feu se consume, les broches s'arr��tent, le r?ti br?le, les sauces tournent, le d?ner est mauvais, les voyageurs se plaignent, l'h?tel se vide, et tout cela parce qu'un gredin de cuisinier s'est mis en t��te d'��tre fanatique de Roland! Comprenez-vous maintenant?
--Tiens, c'est dr?le.
--Mais non, c'est que ce n'est pas dr?le du tout, surtout pour moi; mais, quant �� vous, cela doit vous ��tre parfaitement ��gal. Une fois en Sicile, il n'aura plus l�� son damn�� improvisateur et son enrag�� valet de chambre qui lui font tourner la t��te. Il r?tira, il fricassera �� merveille, et de plus, il fera tout pour vous, si vous lui dites seulement une fois tous les huit jours qu'Ang��lique est une dr?lesse et M��dor un polisson.
--Je le lui dirai.
--Vous le prenez donc?
--Sans doute, puisque vous m'en r��pondez.
On fit monter Cama. Cama fit quelques objections sur le peu de temps qu'il avait pour se pr��parer �� un pareil voyage, et sur les dangers qu'il pouvait y courir; mais, dans la conversation, je trouvai moyen de placer un mot gracieux pour Roland. Aussit?t Cama ��carquilla ses gros yeux, fendit sa bouche jusqu'aux oreilles, se mit �� rire stupidement, et, s��duit par notre communaut�� d'opinion sur le neveu de Charlemagne, se mit enti��rement �� ma disposition.
Il en r��sulta que, comme je l'avais promis au capitaine, j'envoyai Cama le m��me soir coucher �� bord, avec les malles, les matelas et les oreillers, que nous allames rejoindre le lendemain �� l'heure convenue.
Nous trouvames tous nos matelots sur le pont et nous attendant. Sans doute ils avaient aussi grande impatience de nous conna?tre que nous de les voir. Ce n'��tait pas une question moindre pour eux que pour nous, que celle de savoir si nos caract��res sympathiseraient avec les leurs; il y allait pour nous de presque tout le plaisir que nous nous promettions du voyage; il y allait pour eux de leur bien-��tre et de leur tranquillit�� pendant deux ou trois mois.
L'��quipage se composait de neuf hommes, d'un mousse et d'un enfant, tous n��s ou du moins domicili��s au village della Pace, pr��s de Messine. C'��taient de braves Siciliens dans toute la force du terme, �� la taille courte, aux membres robustes, au teint basan��, aux yeux arabes, d��testant les Calabrais, leurs voisins, et ex��crant les Napolitains, leurs ma?tres; parlant ce doux idiome de M��li qui semble un chant, et comprenant �� peine la langue florentine si fi��re de la supr��matie que lui accorde son acad��mie de la Crusca; toujours complaisants, jamais serviles, nous appelant excellence et nous baisant la main, parce que cette formule et cette action, qui chez nous ont un caract��re de bassesse, ne sont chez eux que l'expression de la politesse et du d��vouement. A la fin du voyage, ils arriv��rent �� nous aimer comme des fr��res tout en continuant �� nous respecter comme des sup��rieurs, distinction subtile o�� l'affection et le devoir avaient gard�� leur place; et ils nous rendaient juste ce que nous avions le droit d'attendre en ��change de notre argent et de nos bons proc��d��s.
Leurs noms ��taient: Giuseppe Arena, capitaine; Nunzio, premier pilote; Vicenzo, second pilote; Pietro, fr��re de Nunzio; Giovanni, Filippo, Antonio, Sieni, Ga?tano. Le mousse et le fils du capitaine, gamin ag�� de six ou sept ans, compl��taient l'��quipage.
Maintenant, que nos lecteurs nous permettent, apr��s avoir embrass�� avec nous du regard l'��quipage en masse, de jeter un coup d'oeil particulier sur ceux de ces braves qui se distinguent par un caract��re ou une sp��cialit�� quelconques: nous avons �� faire avec eux un assez long voyage; et pour qu'ils prennent int��r��t �� notre r��cit, il faut qu'ils connaissent nos compagnons de route. Nous allons donc les faire appara?tre tout �� coup �� leurs yeux tels qu'ils se d��couvriront �� nous successivement.
Le capitaine Giuseppe Arena ��tait, comme nous l'avons dit, un bel homme de vingt-huit ou trente ans, �� la figure franche et ouverte dans les circonstances habituelles, �� la figure calme et impassible dans les moments de danger. Il n'avait que tr��s peu de connaissances en navigation; mais comme il poss��dait quelque fortune, il avait achet�� son batiment, et cet achat lui avait naturellement valu le titre de capitaine. Quant au droit ou au pouvoir que ce titre lui donnait sur ses hommes, nous ne le v?mes pas une seule fois en faire usage. A part une l��g��re nuance de respect qu'on lui accordait sans qu'il l'exigeat, et
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