Le Speronare | Page 4

Alexandre Dumas, père
premier abord, cette r��ponse me satisfit si compl��tement, que je montai �� ma chambre sans insister davantage; mais, arriv�� l��, je pensai qu'il n'y avait pas de mal �� prendre quelques renseignements pr��alables sur les qualit��s morales de notre futur compagnon de voyage. En cons��quence, j'interrogeai un des serviteurs de l'h?tel, qui me r��pondit que je pouvais ��tre d'autant plus tranquille sous ce rapport, que c'��tait son propre cuisinier que me donnait monsieur Martin. Malheureusement cette abn��gation, loin de me rassurer de la part de mon h?te, ne fit qu'augmenter mes craintes. Si monsieur Martin ��tait content de son cuisinier, comment s'en d��faisait-il en faveur du premier ��tranger venu? S'il n'en ��tait pas content, si peu difficile que je sois, j'en aimais autant un autre. Je descendis donc chez monsieur Martin, et je lui demandai si je pouvais r��ellement compter sur la probit�� et la science de son prot��g��. Monsieur Martin me r��pondit en me faisant un ��loge pompeux des qualit��s de Giovanni Cama. C'��tait, �� l'entendre, l'honn��tet�� en personne, et, ce qui ��tait bien de quelque importance aussi pour l'emploi que je comptais lui confier, l'habilet�� la plus parfaite. Il avait surtout la r��putation du meilleur friteur, qu'on me passe le mot, je n'en connais pas d'autre pour traduire fritatore, non seulement de la capitale, mais du royaume. Plus monsieur Martin ench��rissait sur ses ��loges, plus mon inqui��tude augmentait. Enfin, je me hasardai �� lui demander comment, poss��dant un tel tr��sor, il consentait �� s'en s��parer.
--H��las! me r��pondit en soupirant monsieur Martin, c'est qu'il a, malheureusement pour moi qui reste �� Naples, un d��faut qui devient sans importance pour vous qui allez en Sicile.
--Et lequel? m'informai-je avec inqui��tude.
--Il est appassionato, me r��pondit monsieur Martin. J'��clatai de rire.
C'est qu'en passant devant la cuisine, monsieur Martin m'avait fait voir Cama �� son fourneau, et Cama, dans toute sa personne, depuis le haut de sa grosse t��te jusqu'�� l'extr��mit�� de ses longs pieds, ��tait bien l'homme du monde auquel me paraissait convenir le moins une pareille ��pith��te; d'ailleurs, un cuisinier passione, cela me paraissait mythologique au premier degr��. Cependant, voyant que mon h?te me parlait avec le plus grand s��rieux, je continuai mes questions.
--Et passionn�� de quoi? demandai-je.
--De Roland, me r��pondit monsieur Martin.
--De Roland? r��p��tai-je, croyant avoir mal entendu.
--De Roland, reprit monsieur Martin avec une consternation profonde.
--Ah ?a! dis-je, commen?ant �� croire que mon h?te se moquait de moi, il me semble, mon cher monsieur Martin, que nous parlons sans nous entendre. Cama est passionn�� de Roland: qu'est-ce que cela veut dire?
--Avez-vous jamais ��t�� au M?le? me demanda monsieur Martin.
--A l'instant o�� je suis rentr��, je venais de la lanterne m��me.
--Oh! mais ce n'est pas l'heure.
--Comment, ce n'est pas l'heure?
--Non. Pour que vous comprissiez ce que je veux dire, il faudrait que vous y eussiez ��t�� le soir quand les improvisateurs chantent. Y avez-vous jamais ��t�� le soir?
--Comment voulez-vous que j'y aie ��t�� le soir? Je suis arriv�� ici depuis ce matin seulement, et il est deux heures de l'apr��s-midi.
--C'est juste. Eh bien! Vous avez quelquefois, parmi les proverbes traditionnels sur Naples, entendu dire que, lorsque le lazzarone a gagn�� deux sous, sa journ��e est faite?
--Oui.
--Mais savez-vous comment il divise ses deux sous?
--Non. Y a-t-il indiscr��tion �� vous le demander?
--Pas le moins du monde.
--Contez-moi cela, alors.
--Eh bien! Il y a un sou pour le macaroni, deux liards pour le cocomero, un liard pour le sambuco, et un liard pour l'improvisateur. L'improvisateur est, apr��s la pate qu'il mange, l'eau qu'il boit et l'air qu'il respire, la chose la plus n��cessaire au lazzarone. Or, que chante presque toujours l'improvisateur? Il chante le po��me du divin Arioste, _l'Orlando Furioso_. Il en r��sulte que, pour ce peuple primitif aux passions exalt��es et �� la t��te ardente, la fiction devient r��alit��; les combats des paladins, les f��lonies des g��ants, les malheurs des chatelaines, ne sont plus de la po��sie, mais de l'histoire; il en faut bien une au pauvre peuple qui ne sait pas la sienne. Aussi s'��prend-il de celle-l��. Chacun choisit son h��ros et se passionne pour lui: ceux-ci pour Renaud, ce sont les jeunes t��tes; ceux-l�� pour Roland, ce sont les coeurs amoureux; quelques-uns pour Charlemagne, ce sont les gens raisonnables. Il n'y a pas jusqu'�� l'enchanteur Merlin qui n'ait ses pros��lytes. Eh bien! Comprenez-vous maintenant? Cet animal de Cama est passionn�� de Roland.
--Parole d'honneur?
--C'est comme je vous le dis.
--Eh bien! Qu'est-ce que cela fait?
--Ce que cela fait?
--Oui.
--Cela fait que, lorsque vient l'heure de l'improvisation, il n'y a pas moyen de le retenir �� la cuisine, ce qui est assez g��nant, vous en conviendrez, dans une maison comme la n?tre, o�� il descend des voyageurs �� toute heure du jour ou de la nuit. Enfin, cela ne serait rien encore; mais attendez donc, c'est qu'il y a ici un valet de chambre qui est renaudiste,
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