Courbet a exposées en
1861, lui avaient rallié, outre les jurés et les académiciens, les
semblables de M. Anatole de la Forge et autres critiques qui
manquaient à sa collection. C'était toujours la même peinture, mais ce
n'était plus le même sujet. Les postères de la fameuse Baigneuse qui
avaient empêché bien des critiques d'art de s'apercevoir qu'elle était
admirablement peinte, dans un paysage et à côté d'une belle fille
également exécutés de main de maître, ne furent plus posés pendant un
instant sur leurs binocles. Le Combat de cerfs, le Renard sur la neige,
le _Cerf blessé_, etc., sont de superbes peintures qui n'offensent
personne. Ceux même que le mot: _réalisme_ retenait encore par leurs
pans d'habit commencent à comprendre que ce mot n'est qu'un nom,
comme toute révolution littéraire ou autre en a toujours pris un, nom
qui n'engage en rien les individualité entre elles, qui leur laisse leur
pleine liberté, et qu'un artiste hardi, indépendant et original peut
accepter comme il eût accepté relui de romantisme en 1830.
Mais cette année tout est bien changé. Il n'y a plus assez de cris contre
Courbet; il a envoyé au jury un grand tableau, représentant _des curés
ivres_, dont nous allons parler tout à l'heure. Ce tableau était escorté de
deux ébauches, une Chasse au renard et un Portrait de dame.
Courbet, médaillé, était reçu de droit; mais _les curés_, dodelinant et
barytonnant, ont scandalisé le catholicisme du jury, et le tableau a
été--je ne puis pas dire: refusé, car il serait exposé,--a été... remis à la
disposition de son auteur qui, ne trouvant aucun endroit public où il fut
accepté, a fini par le recevoir dans son atelier, rue Hautefeuille nº 32.
Tout le monde est invité à venir le contempler tous les jours jusqu'à
midi.--On fait queue.
Jamais le maître-peintre Courbet n'avait fait un tableau aussi vivant,
aussi amusant, aussi pris sur nature et étudié que celui-là.
Par un beau temps septembral, le long d'un chemin de campagne,
s'avance un groupe de curés rabelaisiens, dont un, doucement cahoté
sur un joli une, ressemble à un silène rubicond, plein d'une bonhomie
vinicole qui semble dire: Mon Dieu, cela ne fait de mal à personne! Un
curé à lunettes bleues et au nez pointu le soutient de ci, et un jeune
vicaire qui pourrait bien lui appartenir de très-près, tant il lui ressemble,
le soutient de là; un autre jeune vicaire--ineffable, celui-là,--tire le
grison par la bride; un troisième vicaire ramasse un vieux curé qui butte
à chaque pas.
Un peu en arrière, marche à pas comptés un curé bourgeonné, aux
cheveux vineux, balancé par le vin, qui tout en perdant son chapeau
sans s'en apercevoir, raille la faiblesse de son collègue. La
goguenarderie, la sanguinolence coutumière du teint, produite par une
longue série de repas copieux et prolongés, l'équilibre de ce curé, sont
des merveilles de peinture.
Quatre servantes viennent au loin, égrenant des chapelets, suivant avec
un calme béat cette sainte orgie dont elles ont fait la cuisine.
Un brave paysan regarde passer le cortège en riant de tout son coeur et
de tout son ventre, mais sans ironie, auprès de sa femme agenouillée,
habituée au respect de monsieur le curé.
Certes, ce tableau, un des plus vigoureux et îles plus animés de Courbet,
n'est pas l'oeuvre d'un catholique fervent qui s'incline comme la bonne
femme ci-dessus désignée sur le passage d'une débauche presbytérale,
mais elle n'annonce pas non plus des intentions malicieuses et
subversives contre la religion. On ne reconnaît pas dans cette peinture
l'ironie hostile et voltairienne de Béranger, l'inventeur de ce bon curé
populaire de Meudon, qui boit et danse avec les fillettes, sur l'herbette,
au nez de l'implacable Louis Veuillot.
Courbet n'a fait que représenter une scène significative, expressive et
gaie; le rejet la rend plus bruyante, plus voyante que ne l'aurait fait
l'admission.
* * * * *
III
=SOMMAIRE=
Missive d'un élève, jeune encore, au nom des Refusés.--Étrange
pretention.--Un petit lopin.--Arguments sans réplique, réponse
accablante.--Le critique d'art revient sur l'eau.--Il est question de M.
Brivet-le-Gaillard et de Molière.--Naïveté indispensable.--Premier prix
donné à M. Whistler.--Plusieurs tuiles se détachent et tombent sur les
têtes du Jury.--La bêtise afflige les uns et réjouit les
autres.--Déclaration de principes. --Dithyrambe bien appliqué à M.
Signol.--L'art militaire et la religion mal réprésentés dans les arts.--Le
suspect Briguiboul est acquitté.--La Mythologie de M. Émile Loiseau
n'est pas adressée à Émilie Demoustier.--Mosaïque ou dessin à petits
carreaux.--M. Amand Gautier jette la pierre à la femme adultère.--Le
sujet est mis au concours par tout le monde.--Le public refait le
tableau.--Un amant en déshabillé, vu de dos.--Le Muséum-Gautier.
--Un petit air qui n'est pas de Nargeot.--La Tombe de l'Oiseau ou
l'Architecte en démence.--Imitation de Vadé à l'adresse du jury.--La
province ne vote pas comme Paris.--Preuves à l'appui.
* * * * *
Nous
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