Le Salon des Refusés | Page 5

Fernand Desnoyers

personne; que sais-je encore? Cela suffit.
* * * * *
Du reste, il n'est rien qui ne leur soit familier: peinture, poésie,
sculpture, musique, philosophie, sciences, tout est de leur ressort.
Semblables en cela au Solitaire de M. le vicomte d'Arlincourt, ils
voient tout, ils savent tout, ils sont partout.
* * * * *
Quoiqu'ils soient tous de _bons garçons_, il ne faut pas se fier à eux.
Comme ils sont naturellement répulsifs, aux yeux d'abord, ensuite aux

oreilles et au nez même, puis surtout aux intelligences, il en résulte
qu'ils ont pris en aversion tous ceux qui voient, qui entendent ou qui
comprennent.
* * * * *
C'est parce que ces artisses ne font rien qu'ils se mêlent de tout; quand
je dis qu'ils ne font rien, c'est l'exacte vérité. Cependant, de temps
en-temps, ils barbouillent des vers ou de la prose, ils griffonnent des
tableaux, pétrissent de la musique et gâchent des plâtres; ils sont tous
peintres, musiciens, poètes, sculpteurs et philosophes. Cette multiplicité
de moyens dans l'impuissance les a fait surnommer _les Michel-Ange
de Montmartre_.
(1856.)
ÉCOLE DE ROME
Les peintres de cette école sont universels et éclectiques. Ils n'ont pas
de parti pris en philosophie. Pic de la Mirandole, Bacon, Machiavel,
Gozzi, Humbold et Cousin sont sur leur palette. Quand ils rentrent à
Paris ils deviennent hommes du monde et quelquefois musiciens. Ils
reçoivent.
ÉCOLE DE FONTAINEBLEAU
Cette école est celle qui contient la plus grande variété de peintres
philosophes.--C'est toute une ménagerie.
Les peintres de Barbison Ont des barbes de bison.
Presque toutes les célébrités picturales ont vécu à Barbison, à Marlotte
et à Samois. Habitués à grimper de roc en roc dans les _gorges
d'Apremont_, ils abordent aisément les pics escarpés de la philosophie
la plus allemande. Le _Mont-Aigu, Franchard_, la Roche qui pleure et
la _Marc aux fées_ leur ont donné de saines idées sur Leibnitz, Spinosa,
Kant, idées dont les critiques d'art avaient planté le germe en eux. Que
de paysages philosophiques résultent de ces divers systèmes!

Voilà ce que les critiques d'art ont fait. Ils ont comme des incubes et
des sucubes tellement gratté les pauvres cervelets des peintres, qu'ils le
sont complètement rendus fous, tandis qu'eux restaient simples crétins.
Il y a autant de faiseurs de Salons que de tableaux à l'Exposition.
Chaque toile pourrait avoir son critique spécial. Il faut retenir l'accent
niais et magistral des bonshommes de lettres disant: «Cette année, je
fais le Salon.» C'est pourtant Denis Diderot qui est cause de ce mal; il
n'est pas plus coupable que le soleil de faire naître les vers il soie; mais
enfin tous les coléoptères du petit et du grand journalisme ont Je nom
de Diderot à la trompe; ils se collent comme des taons au ventre des
peintres et sur les tableaux, croyant faire comme le grand écrivain. Ils
ne se doutent guère que Diderot examinait la peinture bien plus en
philosophe et en homme qu'en peintre. Le sujet, les poses, les
expressions, la composition, l'intéressaient infiniment plus que la
manière de peindre, le dessin et la couleur. Greuze, par exemple, ne
traitant que des conceptions simples et humaines, ne représentant que
des scènes villageoises, bourgeoises ou familières avec naïveté et
arrangement tout à la fois, lui semblait être le plus grand peintre de
l'époque. Quant à l'argot des rapins mâché par les critiques diptères;
quant aux mystères de la couleur, si souvent révélés, dans ces derniers
temps, par les suceurs d'esthétique, je crois que Diderot n'y a jamais
songé.
La peinture s'adresse d'abord et presque exclusivement aux yeux. Il
s'agit plus de voir que de comprendre. Le but, est de représenter les
objets. Plus la ressemblance est grande, plus la perfection est approchée.
La littérature peut tout; elle crée, décrit ou peint, raconte et analyse. La
peinture ne fait que reproduire ou interpréter. Je me rappelle que ces
opinions allumèrent une grosse discussion entre plusieurs peintres et un
homme de lettres qui cita alors, à l'appui de ses arguments, Manon
Lescaut. D'après le portrait qu'en fait l'abbé Prévost, disait-il justement,
on la voit; tout le monde se la figure, à peu de différence près, de la
même manière, et telle que les peintres et dessinateurs eux-mêmes l'ont
traduite en tableaux ou en gravures. Mais jamais ces messieurs ne
pourraient en une galerie immense décrire ou peindre son caractère et
ses passions. Ils ne représenteraient que sa personne et dos situations.

L'Exposition des refusés est au moins curieuse. Plusieurs tableaux que
j'ai déjà cités de MM. Briguiboul, Whistler, Fantin, Manet, Gautier,
Colin, Gilbert, Viel-Cazal, Chintreuil, Jean Desbrosses, Julian, forcent
l'attention. Nous allons avec soin passer en revue tous les tableaux de
cette Exposition, où nous avons constaté une déplorable _unité de
refus_, sur laquelle nous insistons. Nous répéterons les opinions de
beaucoup d'artistes et de visiteurs, et
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