Le Rêve | Page 7

Emile Zola
Dans le salon, on avait plâtré les solives; une corniche
à palmettes, accompagnée d'une rosace centrale, ornait le plafond; le
papier à grandes fleurs jaunes datait du Premier Empire, de même que
la cheminée de marbre blanc et que le meuble d'acajou, un guéridon, un
canapé, quatre fauteuils, recouverts de velours d'Utrecht. Les rares fois
qu'elle y venait renouveler l'étalage, quelques bandes de broderies
pendues devant la fenêtre, si elle jetait un coup d'oeil dehors, elle voyait
la même échappée immuable, la rue butant contre la porte Sainte Agnès:
une dévote poussait le vantail qui se refermait sans bruit, les boutiques
de l'orfèvre et du cirier, en face, alignant leurs saints ciboires et leurs
gros cierges, semblaient toujours vides.
Et la paix claustrale de tout Beaumont-l'Église, de la rue Magloire,
derrière l'Évêché, de la Grand-Rue où aboutit la rue des Orfèvres, de la
place du Cloître où se dressent les deux tours, se sentait dans l'air
assoupi, tombait lentement avec le jour pâle sur le pavé désert.
Hubertine s'était chargée de compléter l'instruction d'Angélique.
D'ailleurs, elle pratiquait cette opinion ancienne qu'une femme en sait
assez long, quand elle met l'orthographe et qu'elle connaît les quatre
règles. Mais elle eut à lutter contre le mauvais vouloir de l'enfant, qui
se dissipait à regarder par les fenêtres, quoique la récréation fût
médiocre, celles-ci ouvrant sur le jardin. Angélique ne se passionna
guère que pour la lecture; malgré les dictées, tirées d'un choix classique,
elle n'arriva jamais à orthographier correctement une page; et elle avait
pourtant une jolie écriture, élancée et ferme, une de ces écritures
irrégulières des grandes dames d'autrefois. Pour le reste, la géographie,
l'histoire, le calcul, son ignorance demeura complète. A quoi bon la
science? C'était bien inutile. Plus tard, au moment de la première
communion, elle apprit le mot à mot de son catéchisme, dans une telle
ardeur de foi, qu'elle émerveilla le monde par la sûreté de sa mémoire.

La première année, malgré leur douceur, les Hubert avaient désespéré
souvent. Angélique, qui promettait d'être une brodeuse très adroite, les
déconcertait par des sautes brusques, d'inexplicables paresses, après des
journées d'application exemplaire. Elle devenait tout d'un coup molle,
sournoise, volant le sucre, les yeux battus dans son visage rouge; et, si
on la grondait, elle éclatait en mauvaises réponses. Certains jours,
quand ils voulaient la dompter, elle en arrivait à des crises de folie
orgueilleuse, raidie, tapant des pieds et des mains, prête à déchirer et à
mordre. Une peur, alors, les faisait reculer devant ce petit monstre, ils
s'épouvantaient du diable qui s'agitait en elle. Qui était-elle donc? d'où
venait-elle? Ces, enfants trouvés, presque toujours, viennent du vice et
du crime. A deux reprises, ils avaient résolu de s'en débarrasser, de la
rendre à l'Administration, désolés, regrettant de l'avoir recueillie. Mais,
chaque fois, ces affreuses scènes, dont la maison restait frémissante, se
terminaient pas le même déluge de larmes, la même exaltation de
repentir, qui jetait l'enfant sur le carreau, dans une telle soif du
châtiment, qu'il fallait bien lui pardonner.
Peu à peu, Hubertine prit sur elle de l'autorité. Elle était faite pour cette
éducation, avec la bonhomie de son âme, un grand air fort et doux, sa
raison droite, d'un parfait équilibre.
Elle lui enseignait le renoncement et l'obéissance, qu'elle opposait à la
passion et à l'orgueil. Obéir, c'était vivre. Il fallait obéir à Dieu, aux
parents, aux supérieurs, toute une hiérarchie de respect, en dehors de
laquelle l'existence déréglée se gâtait.
Aussi, à chaque révolte, pour lui apprendre l'humilité, lui imposait-elle,
comme pénitence, quelque basse besogne, essuyer la vaisselle, laver la
cuisine; et elle demeurait là jusqu'au bout, la tenant courbée sur les
dalles, enragée d'abord, vaincue enfin.
La passion surtout l'inquiétait, chez cette enfant, l'élan et la violence de
ses caresses. Plusieurs fois, elle l'avait surprise à se baiser les mains.
Elle la vit s'enfiévrer pour des images, des petites gravures de sainteté,
des Jésus qu'elle collectionnait; puis, un soir, elle la trouva en pleurs,
évanouie, la tête tombée sur la table, la bouche collée aux images. Ce
fut encore une terrible scène, lorsqu'elle les confisqua, des cris, des

larmes, comme si on lui arrachait la peau. Et, dès lors, elle la tint
sévèrement, ne toléra plus ses abandons, l'accablant de travail, faisant
le silence et le froid autour d'elle, dès qu'elle la sentait s'énerver, les
yeux fous, les joues brûlantes.
D'ailleurs, Hubertine s'était découvert un aide dans le livret de
l'Assistance publique. Chaque trimestre, lorsque le percepteur le signait,
Angélique en demeurait assombrie jusqu'au soir. Un élancement la
poignait au coeur, si, par hasard, en prenant une bobine d'or dans le
bahut, elle l'apercevait. Et, un jour de méchanceté furieuse, comme rien
n'avait pu la vaincre et qu'elle bouleversait tout au fond du tiroir, elle
était restée brusquement anéantie, devant le petit livre. Des sanglots
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 87
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.