Le Râmâyana - tome second | Page 4

Valmiky
viens consoler ton ami, le coeur déchiré à la pensée de son épouse ravie. Veuille bien excuser toutes les paroles injurieuses que j'ai dites pour toi sous l'impression des plaintes du Raghouide, vaincu par sa douleur.?
Les singes chargés des ordres du roi volent de tous les c?tés et, couvrant le ciel, route divine, où circule Vishnou, ils tiennent offusqués les rayons du soleil. Dans les mers, dans les forêts, dans les montagnes et sur la rive des fleuves, les envoyés appellent tous les singes à soutenir la cause de Rama.
Partout, aussit?t qu'ils ont ou? les paroles des messagers et re?u l'ordre du monarque, semblable au noir Trépas, la gent quadrumane est frappée de terreur.
Alors trois kotis[1] de singes au poil sombre comme le collyre s'avancent, de la montagne nommée le Grand-Andjana, vers ces lieux où Rama les attend. Dix kotis de singes couleur de l'or bruni viennent de la belle montagne, brillante comme l'or, où le soleil se couche à l'occident. Trente kotis de singes accourent du Mandara, une des plus hautes alpes de la terre: vaillants héros, ils ont la taille et la force des lions. Trois mille deux cents kotis de singes, les épaules couvertes d'une crinière léonine toute resplendissante, affluèrent des sommets du Kêlasa. De ceux qui errent sur les flancs de l'Himalaya et savent go?ter la saveur de ses racines et de ses fruits, un millier de mille kotis se mit en campagne à la ronde. Du mont Vindhya sortirent mille kotis de singes, tels que des masses de charbon, épouvantables par l'aspect, épouvantables par les actions. Dix mille kotis de singes arrivèrent du mont Oudaya, tous renommés par le courage et la force. De ceux qui g?tent sur le rivage de la Mer-de-Lait, où ils mangent les fruits du xanthocyme et font leurs festins de cocos, il n'existe pas de nombre qui puisse exprimer la multitude infinie des croisés.
[Note 1: Afin que l'on apprécie mieux toute l'ampleur de ces hyperboles, il n'est sans doute pas inutile d'avertir qu'un koti égale dix millions.]
Les armées de ces hommes des bois accouraient des bords de la mer, des fleuves, des forêts; et l'astre du jour en était comme éclipsé.
Sougr?va de monter avec Lakshmana dans son palanquin d'or, brillant comme le soleil et porté sur les épaules de grands singes. Il sortit en roi, auquel est échu la gloire de ceindre une couronne sans égale; il sortit avec le parasol blanc élevé sur sa tête, avec l'éventail blanc, avec le blanc chasse-mouche, agités de tous les c?tés autour de son visage. Environné de singes nombreux, terribles, des javelots à leur main, le fortuné monarque s'avan?ait, entouré de ses ministres à la grande vigueur; et, dans sa course rapide, il faisait trembler même le sol de la terre sous les pas de l'innombrable armée des singes. Dans ce voyage de Sougr?va, le ciel était comme rempli du bruit des conques et du son des tymbales. Les ours, par milliers, les golangoulas par centaines et des singes fortement cuirassés marchaient devant lui. Il franchit dans l'intervalle d'un instant la distance qui le séparait du Malyavat, la grande montagne: arrivé à la demeure, mais encore loin du noble Raghouide, le monarque des armées quadrumanes s'arrêta.
Sougr?va descendit avec Lakshmana; et, quittant sa litière d'or, le roi fortuné des singes, tenant au front ses deux mains en coupe et marchant à pied, s'approcha de Rama. Il se prosterna la tête sur la terre et se tint formant de ses mains jointes la coupe de l'andjali. à peine eut-elle vu son roi les paumes des mains réunies aux tempes, toute l'armée des quadrumanes se mit au front les deux mains et fit de même l'andjali.
Quand il vit ainsi la grande armée des singes comme un lac de lotus, dont les fleurs entr'ouvrent leurs calices, Rama fut satisfait à l'égard de Sougr?va. Le digne fils de Raghou étreignit dans ses bras le royal singe, il salua de quelques mots les ministres et lui dit: ?Assieds-toi!? Alors, s'étant dépouillé de sa colère, il tint avec bonté ce langage au roi singe assis avec ses conseillers sur le sol de la terre:
?écoute, ami, écoute cette parole: renonce à des jouissances brutales et sache que prêter du secours à tes amis, c'est défendre même ton royaume. Déploie tes efforts à la recherche de S?ta et travaille, ? toi qui domptes les ennemis, travaille à découvrir en quel pays habite Ravana.?
à ces mots, Sougr?va, le monarque des singes, s'incline entièrement rassuré devant Rama et lui répond en ces termes: ?J'avais perdu ma fortune, ma gloire et l'empire éternel des singes; mais j'ai tout recouvré, grace à ta bienveillance, héros aux longs bras! L'homme, ? le plus éminent des victorieux, qui ne te payerait pas de retour, à toi, père, seigneur et Dieu, le service rendu serait le plus ignoble des
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