un des plus superbes temples de la ville; il s'assit au milieu d'une troupe de femmes et d'hommes qui étaient venus là pour passer le temps. Un mage parut dans une machine élevée, qui parla long-temps du vice et de la vertu. Ce mage divisa en plusieurs parties ce qui n'avait pas besoin d'être divisé; il prouva méthodiquement tout ce qui était clair; il enseigna tout ce qu'on savait. Il se passionna froidement, et sortit suant et hors d'haleine. Toute l'assemblée alors se réveilla, et crut avoir assisté à une instruction. Babouc dit: Voilà un homme qui a fait de son mieux pour ennuyer deux ou trois cents de ses concitoyens; mais son intention était bonne: il n'y a pas là de quoi détruire Persépolis.
Au sortir de cette assemblée, on le mena voir une fête publique qu'on donnait tous les jours de l'année; c'était dans une espèce de basilique, au fond de laquelle on voyait un palais. Les plus belles citoyennes de Persépolis, les plus considérables satrapes rangés avec ordre formaient un spectacle si beau, que Babouc crut d'abord que c'était là toute la fête. Deux ou trois personnes, qui paraissaient des rois et des reines, parurent bient?t dans le vestibule de ce palais; leur langage était très différent de celui du peuple; il était mesuré, harmonieux, et sublime. Personne ne dormait, on écoutait dans un profond silence, qui n'était interrompu que par les témoignages de la sensibilité et de l'admiration publique. Le devoir des rois, l'amour de la vertu, les dangers des passions étaient exprimés par des traits si vifs et si touchants, que Babouc versa des larmes. Il ne douta pas que ces héros et ces héro?nes, ces rois et ces reines qu'il venait d'entendre, ne fussent les prédicateurs de l'empire. Il se proposa même d'engager Ituriel à les venir entendre; bien s?r qu'un tel spectacle le réconcilierait pour jamais avec la ville.
Dès que cette fête fut finie, il voulut voir la principale reine qui avait débité dans ce beau palais une morale si noble et si pure; il se fit introduire chez sa majesté; on le mena par un petit escalier, au second étage, dans un appartement mal meublé, où il trouva une femme mal vêtue, qui lui dit d'un air noble et pathétique: Ce métier-ci ne me donne pas de quoi vivre; un des princes que vous avez vus m'a fait un enfant; j'accoucherai bient?t; je manque d'argent, et sans argent on n'accouche point. Babouc lui donna cent dariques d'or, en disant: S'il n'y avait que ce mal-là dans la ville, Ituriel aurait tort de se tant facher.
De là il alla passer sa soirée chez des marchands de magnificences inutiles. Un homme intelligent, avec lequel il avait fait connaissance, l'y mena; il acheta ce qui lui plut, et on le lui vendit avec politesse beaucoup plus qu'il ne valait. Son ami, de retour chez lui, lui fit voir combien on le trompait. Babouc mit sur ses tablettes le nom du marchand, pour le faire distinguer par Ituriel au jour de la punition de la ville. Comme il écrivait, on frappa à sa porte; c'était le marchand lui-même qui venait lui rapporter sa bourse, que Babouc avait laissée par mégarde sur son comptoir. Comment se peut-il, s'écria Babouc, que vous soyez si fidèle et si généreux, après n'avoir pas eu honte[12] de me vendre des colifichets quatre fois au-dessus de leur valeur? Il n'y a aucun négociant un peu connu dans cette ville, lui répondit le marchand, qui ne f?t venu vous rapporter votre bourse; mais on vous a trompé quand on vous a dit que je vous avais vendu ce que vous avez pris chez moi quatre fois plus qu'il ne vaut, je vous l'ai vendu dix fois davantage: et cela est si vrai, que si dans un mois vous voulez le revendre, vous n'en aurez pas même ce dixième. Mais rien n'est plus juste; c'est la fantaisie passagère[13] des hommes qui met le prix à ces choses frivoles; c'est cette fantaisie qui fait vivre cent ouvriers que j'emploie; c'est elle qui me donne une belle maison, un char commode, des chevaux; c'est elle qui excite l'industrie, qui entretient le go?t, la circulation, et l'abondance.
[12] On lit de honte dans l'édition de 1748, faite à Dresde; mais l'édition de 1750, faite probablement sous les yeux de l'auteur, quoique portant l'adresse d'Amslerdam, porte seulement: eu honte. B.
[13] C'est d'après l'édition de 1750 que j'ai ajouté le mot passagère. B.
Je vends aux nations voisines les mêmes bagatelles plus chèrement qu'à vous, et par là je suis utile à l'empire. Babouc, après avoir un peu rêvé, le raya de ses tablettes[14]; car enfin, disait-il, les arts du luxe ne sont en grand nombre dans un empire que quand tous les arts nécessaires sont exercés, et que la nation est
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