d?ner; et le directeur, homme éloquent, lui parla dans ce cabinet avec tant de véhémence et d'onction, que la dame avait quand elle revint les yeux humides, les joues enflammées, la démarche mal assurée, la parole tremblante.
[8] L'édition de 1750 porte: ?Cette veuve indulgente lorgnait vivement le magistrat tandis qu'elle tendait la main à un jeune citoyen, etc.? B.
Alors Babouc commen?a à craindre que le génie Ituriel n'e?t raison. Le talent qu'il avait d'attirer la confiance le mit dès le jour même dans les secrets de la dame: elle lui confia son go?t pour le jeune mage, l'assura que dans toutes les maisons de Persépolis il trouverait l'équivalent de ce qu'il avait vu dans la sienne. Babouc conclut qu'une telle société ne pouvait subsister; que la jalousie, la discorde, la vengeance, devaient désoler toutes les maisons; que les larmes et le sang devaient couler tous les jours; que certainement les maris tueraient les galants de leurs femmes, ou en seraient tués; et qu'enfin Ituriel ferait fort bien de détruire tout d'un coup une ville abandonnée à de continuels désordres.
V. Il était plongé dans ces idées funestes, quand il se présenta à la porte un homme grave, en manteau noir, qui demanda humblement à parler au jeune magistrat. Celui-ci, sans se lever, sans le regarder, lui donna fièrement, et d'un air distrait, quelques papiers, et le congédia. Babouc demanda quel était cet homme. La ma?tresse de la maison lui dit tout bas: C'est un des meilleurs avocats de la ville; il y a cinquante ans qu'il étudie les lois. Monsieur, qui n'a que vingt-cinq ans, et qui est satrape[9] de loi depuis deux jours, lui donne à faire l'extrait d'un procès qu'il doit juger demain; et qu'il n'a pas encore examiné. Ce jeune étourdi fait sagement, dit Babouc, de demander conseil à un vieillard; mais pourquoi n'est-ce pas ce vieillard qui est juge? Vous vous moquez, lui dit-on; jamais ceux qui ont vieilli dans les emplois laborieux et subalternes ne parviennent aux dignités. Ce jeune homme a une grande charge, parceque son père est riche, et qu'ici le droit de rendre la justice s'achète comme une métairie[10]. O moeurs! ? malheureuse ville! s'écria Babouc; voilà le comble du désordre; sans doute, ceux qui ont ainsi acheté le droit de juger vendent leurs jugements: je ne vois ici que des ab?mes d'iniquité.
[9] Satrape de loi signifie ici conseiller au parlement. Il arrivait souvent aux conseillers-rapporteurs de charger quelque avocat de faire les extraits dos procès à juger. B.
[10] Voltaire n'a cessé de s'élever contre la vénalité des offices de judicature; et c'est la suppression de la vénalité qui l'avait rendu partisan des mesures prises eu 1771. Voyez l'Histoire du parlement, chapitre LXIX, tome XXII, pages 366-67, dans les _Mélanges_, année 1771, différentes pièces relatives au parlement Maupeou; dans la Correspondance, la lettre à madame de Florian, du 1er avril 1771, et autres lettres. B.
Comme il marquait ainsi sa douleur et sa surprise, un jeune guerrier, qui était revenu ce jour même de l'armée, lui dit: Pourquoi ne voulez-vous pas qu'on achète les emplois de la robe? j'ai bien acheté, moi, le droit d'affronter la mort à la tête de deux mille hommes que je commande; il m'en a co?té quarante mille dariques d'or cette année, pour coucher sur la terre trente nuits de suite en habit rouge, et pour recevoir ensuite deux bons coups de flèches dont je me sens encore. Si je me ruine pour servir l'empereur persan que je n'ai jamais vu, M. le satrape de robe peut bien payer quelque chose pour avoir le plaisir de donner audience à des plaideurs. Babouc indigné ne put s'empêcher de condamner dans son coeur un pays où l'on mettait à l'encan les dignités de la paix et de la guerre; il conclut précipitamment que l'on y devait ignorer absolument la guerre et les lois, et que, quand même Ituriel n'exterminerait pas ces peuples, ils périraient par leur détestable administration.
Sa mauvaise opinion augmenta encore à l'arrivée d'un gros homme, qui, ayant salué très familièrement toute la compagnie, s'approcha du jeune officier, et lui dit: Je ne peux vous prêter que cinquante mille dariques d'or; car, en vérité, les douanes de l'empire ne m'en ont rapporté que trois cent mille cette année. Babouc s'informa quel était cet homme qui se plaignait de gagner si peu; il apprit qu'il y avait dans Persépolis quarante[11] rois plébéiens qui tenaient à bail l'empire de Perse, et qui en rendaient quelque chose au monarque.
[11] Quarante est ce qu'on lit dans les éditions depuis 1756. Les éditions de 1748 et 1750 portent, soixante et douze. Le nombre des fermiers-généraux a varié. Louis XV, en 1765, avait créé vingt nouvelles places. Voyez, tome XXI, le chapitre XXXI du _Précis du Siècle de Louis XV_. B.
VI. Après d?ner il alla dans
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