jardins de la reine,--John était plein d'indulgence pour cette petite fille qui l'avait charmé.--Il aimait sa candeur d'enfant, et sa grande affection pour moi; il était disposé à tout pardonner à son frère Harry, quand il s'agissait d'elle.............................................................
Si bien que, quand la reine me proposa d'épouser la petite Rarahu du district d'Apiré, le mariage tahitien ne pouvait plus être entre nous deux qu'une formalité...
XVI
CHOSES DU PALAIS
Ariifaité, le prince-époux, jouait à la cour de Pomaré un r?le politique tout à fait effacé.
La reine, qui tenait à donner aux Tahitiens une belle lignée royale, avait choisi cet homme, parce qu'il était le plus grand et le plus beau qu'on e?t pu trouver dans ses archipels.--C'était encore un magnifique vieillard à cheveux blancs, à la taille majestueuse, au profil noble et régulier.
Mais il était peu présentable, et s'obstinait à se trop peu vêtir; le simple pareo tahitien lui semblait suffisant; il n'avait jamais pu se faire à l'habit noir.
De plus il se grisait souvent; aussi le montrait-on fort peu.
De ce mariage étaient issus de vrais géants qui tous mouraient du même mal sans remèdes, comme ces grandes plantes des tropiques qui poussent en une saison et meurent à l'automne.
Tous mouraient de la poitrine, et la reine les voyait l'un après l'autre partir, avec une inexprimable douleur.
L'a?né, Tamatoa, avait eu de la belle reine Moé sa femme, une petite princesse délicieusement jolie,--l'héritière présomptive du tr?ne de Tahiti,--la petite Pomaré V, sur laquelle se portait toute la tendresse de la grand'mère Pomaré IV.
Cette enfant, qui en 1872 avait six ans, laissait para?tre déjà les sympt?mes du mal héréditaire, et plus d'une fois les yeux de l'a?eule s'étaient remplis de larmes en la regardant.
Cette maladie prévue et cette mort certaine donnaient un charme de plus à cette petite créature, la dernière des Pomaré, la dernière des reines des archipels tahitiens.--Elle était aussi ravissante, aussi capricieuse que peut l'être une petite princesse malade que l'on ne contrarie jamais. L'affection qu'elle montrait pour moi avait contribué à m'attirer celle de la reine...
XVII
Pour arriver à parler le langage de Rarahu,--et à comprendre ses pensées,--même les plus dr?les ou le plus profondes,--j'avais résolu d'apprendre la langue maorie.
Dans ce but, j'avais fait un jour à Papeete l'acquisition du dictionnaire des frères Picpus,--vieux petit livre qui n'eut jamais qu'une édition, et dont les rares exemplaires sont presque introuvables aujourd'hui.
Ce fut ce livre qui le premier m'ouvrit sur la Polynésie d'étranges perspectives,-tout un champ inexploré de rêveries et d'études.
XVIII
Au premier abord je fus frappé de la grande quantité des mots mystiques de la vieille religion maorie,--et puis de ces mots tristes, effrayants, intraduisibles,--qui expriment là-bas les terreurs vagues de la nuit,--les bruits mystérieux de la nature, les rêves à peine saisissables de l'imagination...
Il y avait d'abord Taaroa, le dieu supérieur des religions polynésiennes.
Les déesses: Ruahine tahua, déesse des arts et de la prière.
Ruahine auna, déesse de la sollicitude.
Ruahine faaipu, déesse de la franchise.
Ruahine nihonihoraroa, déesse de la dissension et du meurtre.
Romatane, le prêtre qui admet les ames au ciel, ou les en exclut.
Tutahoroa, la route qui suivent les ames pour se rendre dans la nuit éternelle.
Tapaparaharaha, la base du monde.
Ihohoa, les manes, les revenants.
Oroimatua ai aru nihonihororoa, cadavre qui revient pour tuer et manger les vivants.
Tuitupapau, prière à un mort de ne pas revenir.
Tahurere, prier un ami mort de nuire à un ennemi.
Tii, esprit malfaisant.
Tahutahu, enchanteur, sorcier.
Mahoi, l'essence, l'ame d'un Dieu.
Faa-fano, départ de l'ame à la mort.
Ao, monde, univers, terre, ciel, bonheur, paradis, nuage, lumière, principe, centre, coeur des choses.
Po, nuit, anciens temps, monde inconnu et ténébreux, enfers.
... Et des mots tels que ceux-ci, pris au hasard entre mille:
Moana, ab?mes de la mer ou du ciel.
Tohureva, présage de mort.
Natuaea, vision confuse et trompeuse.
Nupa nupa, obscurité, agitation morale.
Ruma-ruma, ténèbres, tristesses.
Tarehua, avoir les sens obscurcis, être visionnaire.
Tataraio, être ensorcelé.
Tunoo, maléfice.
Ohiohio, regard sinistre.
Puhiairoto, ennemi secret.
Totoro ai po, repas mystérieux dans les ténèbres.
Tetea, personne pale, fant?me.
Oromatua, crane d'un parent.
Papaora, odeur de cadavre.
Taihitoa, voix effrayante.
Tai aru, voix comme le bruit de la mer.
Tururu, bruit de bouche pour effrayer.
Oniania, vertige, brise qui se lève.
Tape tape, limite touchant aux eaux profondes.
Tahau, blanchir à la rosée.
Rauhurupe, vieux bananier; personne décrépite.
Tutai, nuées rouges à l'horizon.
Nina, chasser une idée triste; enterrer.
Ata, nuage; tige de fleur; messager; crépuscule.
Ari, profondeur; vide; vague de la mer...
..........................................................
XIX
... Rarahu possédait un chat d'une grande laideur, en qui se résumaient avant mon arrivée ses plus chères affections.
Les chats sont bêtes de luxe en Océanie, et pourtant leur race est là- bas tout à fait manquée.--Ceux qui arrivent d'Europe font souche, et son fort recherchés.
Celui de Rarahu était une grande bête efflanquée, haute sur pattes, qui passait ses jours à dormir le ventre au soleil, ou à manger des languerottes bleues. Il s'appelait Turiri.--Ses oreilles droites étaient percées à leurs extrémités, et ornées de petits glands de soie, suivant la mode des chats de Tahiti. Cette coiffure complétait d'une manière
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