pied sur le sol tahitien.--L'amiral anglais du Rendeer venait faire sa visite d'arrivée à la souveraine (une vieille connaissance à lui)--et j'étais allé, en grande tenue de service, accompagner l'amiral.
L'épaisse verdure tamisait les rayons de l'ardent soleil de deux heures; tout était tranquille et désert dans les avenues ombreuses dont l'ensemble forme Papeete, la ville de la reine.--Les cases à vérandas, disséminées dans les jardins, sous les grands arbres, sous les grandes plantes tropicales,--semblaient, comme leurs habitants, plongées dans le voluptueux assoupissement de la sieste.--Les abords de la demeure royale étaient aussi solitaires, aussi paisibles...
Un des fils de la reine,--sorte de colosse basané qui vint en habit noir à notre rencontre, nous introduisit dans un salon aux volets baissés, où une douzaine de femmes étaient assises, immobiles et silencieuses...
Au milieu de cet appartement, deux grands fauteuils dorés étaient placés c?te à c?te.--Pomaré, qui en occupait un, invita l'amiral à s'asseoir dans le second, tandis qu'un interprète échangeait entre ces deux anciens amis des compliments officiels.
Cette femme, dont le nom était mêlé jadis aux rêves exotiques de mon enfance, m'apparaissait vêtue d'un long fourreau de soie rose, sous les traits d'une vieille créature au teint cuivré, à la tête impérieuse et dure.--Dans sa massive laideur de vieille femme, on pouvait démêler encore quels avaient pu être les attraits et le prestige de sa jeunesse, dont les navigateurs d'autrefois nous ont transmis l'original souvenir.
Les femmes de sa suite avaient, dans cette pénombre d'un appartement fermé, dans ce calme silence du jour tropical, un charme indéfinissable. --Elles étaient belles presque toutes de la beauté tahitienne: des yeux noirs, chargés de langueur, et le teint ambré des gitanos.--Leurs cheveux dénoués étaient mêlés de fleurs naturelles et leurs robes de gaze tra?nantes, libres à la taille, tombaient autour d'elles en longs plis flottants.
C'était sur la princesse Ariitéa surtout, que s'arrêtaient involontairement mes regards. Ariitéa à la figure douce, réfléchie, rêveuse, avec de pales roses du Bengale, piquées au hasard dans ses cheveux noirs...
VII
Les compliments terminés, l'amiral dit à la reine:
--Voici Harry Grant que je présente à Votre Majesté; il est le frère de Georges Grant, un officier de marine, qui a vécu quatre ans dans votre beau pays.
L'interprète avait à peine achevé de traduire, que Pomaré me tendit sa main ridée; un sourire bon enfant, qui n'avait plus rien d'officiel, éclaire sa vieille figure:
--Le frère de Rouéri! dit elle en désignant mon frère par son nom tahitien.--Il faudra revenir me voir...--Et elle ajouta en anglais: "Welcome!" (Bienvenu!) ce qui parut une faveur toute spéciale, la reine ne parlant jamais d'autre langue que celle de son pays.
--"Welcome!" dit aussi la reine de Bora-Bora, qui me tendit la main, en me montrant dans un sourire ses longues dents de cannibale...
Et je partis charmé de cette étrange cour...
VIII
Rarahu n'avait guère quitté depuis sa petite enfance la case de sa vieille mère adoptive, qui habitait dans le district d'Apiré, au bord du ruisseau de Fataoua.
Ses occupations étaient fort simples: la rêverie, le bain, le bain surtout:-le chant et les promenades sous bois, en compagnie de Tiahoui, son inséparable petite amie.--Rarahu et Tiahoui étaient deux insouciantes et rieuses petites créatures qui vivaient presque entière-
ment dans l'eau de leur ruisseau, où elles sautaient et s'ébattaient comme deux poissons-volants.
IX
Il ne faudrait pas croire cependant que Rarahu f?t sans érudition; elle savait lire dans sa bible tahitienne, et écrire, avec une grosse écriture très ferme, les mots doux de la langue maorie; elle était même très forte sur l'orthographe conventionnelle fixée par les frères Picpus,--lesquels ont fait, en caractères latins, un vocabulaire des mots polynésiens.
Beaucoup de petites filles dans nos campagnes d'Europe sont moins cultivées assurément que cette enfant sauvage.--Mais il avait fallu que cette instruction, prise à l'école des missionnaires de Papeete, lui e?t peu co?té à acquérir, car elle était fort paresseuse.
X
En tournant à droite dans les broussailles, quand on avait suivi depuis une demi-heure le chemin d'Apiré, on trouvait un large bassin naturel, creusé dans le roc vif.--Dans ce bassin, le ruisseau de Fataoua se précipitait en cascade, et versait une eau courante, d'une exquise fra?cheur.
Là, tout le jour, il y avait société nombreuse; sur l'herbe, on trouvait étendues les belles jeunes femmes de Papeete, qui passaient les chaudes journées tropicales à causer, chanter, dormir, ou bien encore à nager et à plonger, comme des dorades agiles.--Elles allaient à l'eau vêtues de leurs tuniques de mousseline, et les gardaient pour dormir, toutes mouillées sur leur corps, comme autrefois les na?ades.
Là, venaient souvent chercher fortune les marins de passage; là tr?nait Tétouara la négresse;--là se faisait à l'ombre une grande consommation d'oranges et de goyaves.
Tétouara appartenait à la race des Kanaques noirs de la Mélanésie.--Un navire qui venait d'Europe l'avait un jour prise dans une ?le avoisinant la Calédonie, et l'avait déposée à mille lieues de son pays, à Papeete, où
Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.