cas, et m'eût comblé de
ridicule aux yeux de Tétouara...........................................................
Les vieux parents de Rarahu, que j'avais craint de désoler d'abord,
avaient sur ces questions des idées tout à fait particulières qui en
Europe n'auraient point cours. Je n'avais pas tardé à m'en apercevoir.
Ils s'étaient dit qu'une grande fille de quatorze ans n'est plus une enfant,
et n'a pas été créée pour vivre seule... Elle n'allait pas se prostituer à
Papeete, et c'était là tout ce qu'ils avaient exigé de sa sagesse.
Ils avaient jugé que mieux valait Loti qu'un autre, Loti très jeune
comme elle, qui leur paraissait doux et semblait l'aimer... et , après
réflexion, les deux vieillards avaient trouvé que c'était bien...
John lui-même, mon bien-aimé frère John, qui voyait tout avec ses
yeux si étonnamment purs, qui éprouvait une surprise douloureuse
quand on lui contait mes promenades nocturnes en compagnie de
Faïmana dans les jardins de la reine,--John était plein d'indulgence pour
cette petite fille qui l'avait charmé.--Il aimait sa candeur d'enfant, et sa
grande affection pour moi; il était disposé à tout pardonner à son frère
Harry, quand il s'agissait d'elle.............................................................
Si bien que, quand la reine me proposa d'épouser la petite Rarahu du
district d'Apiré, le mariage tahitien ne pouvait plus être entre nous deux
qu'une formalité...
XVI
CHOSES DU PALAIS
Ariifaité, le prince-époux, jouait à la cour de Pomaré un rôle politique
tout à fait effacé.
La reine, qui tenait à donner aux Tahitiens une belle lignée royale, avait
choisi cet homme, parce qu'il était le plus grand et le plus beau qu'on
eût pu trouver dans ses archipels.--C'était encore un magnifique
vieillard à cheveux blancs, à la taille majestueuse, au profil noble et
régulier.
Mais il était peu présentable, et s'obstinait à se trop peu vêtir; le simple
pareo tahitien lui semblait suffisant; il n'avait jamais pu se faire à l'habit
noir.
De plus il se grisait souvent; aussi le montrait-on fort peu.
De ce mariage étaient issus de vrais géants qui tous mouraient du même
mal sans remèdes, comme ces grandes plantes des tropiques qui
poussent en une saison et meurent à l'automne.
Tous mouraient de la poitrine, et la reine les voyait l'un après l'autre
partir, avec une inexprimable douleur.
L'aîné, Tamatoa, avait eu de la belle reine Moé sa femme, une petite
princesse délicieusement jolie,--l'héritière présomptive du trône de
Tahiti,--la petite Pomaré V, sur laquelle se portait toute la tendresse de
la grand'mère Pomaré IV.
Cette enfant, qui en 1872 avait six ans, laissait paraître déjà les
symptômes du mal héréditaire, et plus d'une fois les yeux de l'aïeule
s'étaient remplis de larmes en la regardant.
Cette maladie prévue et cette mort certaine donnaient un charme de
plus à cette petite créature, la dernière des Pomaré, la dernière des
reines des archipels tahitiens.--Elle était aussi ravissante, aussi
capricieuse que peut l'être une petite princesse malade que l'on ne
contrarie jamais. L'affection qu'elle montrait pour moi avait contribué à
m'attirer celle de la reine...
XVII
Pour arriver à parler le langage de Rarahu,--et à comprendre ses
pensées,--même les plus drôles ou le plus profondes,--j'avais résolu
d'apprendre la langue maorie.
Dans ce but, j'avais fait un jour à Papeete l'acquisition du dictionnaire
des frères Picpus,--vieux petit livre qui n'eut jamais qu'une édition, et
dont les rares exemplaires sont presque introuvables aujourd'hui.
Ce fut ce livre qui le premier m'ouvrit sur la Polynésie d'étranges
perspectives,-tout un champ inexploré de rêveries et d'études.
XVIII
Au premier abord je fus frappé de la grande quantité des mots
mystiques de la vieille religion maorie,--et puis de ces mots tristes,
effrayants, intraduisibles,--qui expriment là-bas les terreurs vagues de
la nuit,--les bruits mystérieux de la nature, les rêves à peine saisissables
de l'imagination...
Il y avait d'abord Taaroa, le dieu supérieur des religions polynésiennes.
Les déesses: Ruahine tahua, déesse des arts et de la prière.
Ruahine auna, déesse de la sollicitude.
Ruahine faaipu, déesse de la franchise.
Ruahine nihonihoraroa, déesse de la dissension et du meurtre.
Romatane, le prêtre qui admet les âmes au ciel, ou les en exclut.
Tutahoroa, la route qui suivent les âmes pour se rendre dans la nuit
éternelle.
Tapaparaharaha, la base du monde.
Ihohoa, les mânes, les revenants.
Oroimatua ai aru nihonihororoa, cadavre qui revient pour tuer et
manger les vivants.
Tuitupapau, prière à un mort de ne pas revenir.
Tahurere, prier un ami mort de nuire à un ennemi.
Tii, esprit malfaisant.
Tahutahu, enchanteur, sorcier.
Mahoi, l'essence, l'âme d'un Dieu.
Faa-fano, départ de l'âme à la mort.
Ao, monde, univers, terre, ciel, bonheur, paradis, nuage, lumière,
principe, centre, coeur des choses.
Po, nuit, anciens temps, monde inconnu et ténébreux, enfers.
... Et des mots tels que ceux-ci, pris au hasard entre mille:
Moana, abîmes de la mer ou du ciel.
Tohureva, présage de mort.
Natuaea, vision confuse et trompeuse.
Nupa nupa, obscurité,
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