Le Lutrin | Page 3

Boileau
par là qu'un prélat signale sa vigueur.?Ne borne pas ta gloire à prier dans un choeur :?Ces vertus dans Aleth peuvent être en usage ;?Mais dans Paris, plaidons ; c'est là notre partage.?Tes bénédictions, dans le trouble croissant,?Tu pourras les répandre et par vingt et par cent ;?Et, pour braver le chantre en son orgueil extrême,?Les répandre à ses yeux, et le bénir lui-même.
Ce discours aussit?t frappe tous les esprits ;?Et le prélat charmé l'approuve par des cris.?Il veut que, sur-le-champ, dans la troupe on choisisse?Les trois que Dieu destine à ce pieux office :?Mais chacun prétend part à cet illustre emploi.?Le sort, dit le prélat, vous servira de loi.?Que l'on tire au billet ceux que l'on doit élire.?Il dit, on obéit, on se presse d'écrire.?Aussit?t trente noms, sur le papier tracés,?Sont au fond d'un bonnet par billets entassés.?Pour tirer ces billets avec moins d'artifice,?Guillaume, enfant de choeur, prête sa main novice :?Son front nouveau tondu, symbole de candeur,?Rougit, en approchant, d'une honnête pudeur.?Cependant le prélat, l'oeil au ciel, la main nue,?Bénit trois fois les noms, et trois fois les remue.?Il tourne le bonnet : l'enfant tire et Brontin?Est le premier des noms qu'apporte le destin.?Le prélat en con?oit un favorable augure?Et ce nom dans la troupe excite un doux murmure.?On se tait ; et bient?t on voit para?tre au jour?Le nom, le fameux nom du perruquier l'Amour.?Ce nouvel Adonis, à la blonde crinière,?Est l'unique souci d'Anne sa perruquière :?Ils s'adorent l'un l'autre ; et ce couple charmant?S'unit longtemps, dit-on, avant le sacrement ;?Mais, depuis trois moissons, à leur saint assemblage?L'official a joint le nom de mariage.?Ce perruquier superbe est l'effroi du quartier,?Et son courage est peint sur son visage altier.?Un des noms reste encore et le prélat par grace?Une dernière fois les brouille et les ressasse.?Chacun croit que son nom est le dernier des trois.?Mais que ne dis-tu point, ? puissant porte-croix,?Boirude, sacristain, cher appui de ton ma?tre,?Lorsqu'aux yeux du prélat tu vis ton nom para?tre !?On dit que ton front jaune, et ton teint sans couleur,?perdit en ce moment son antique paleur ;?Et que ton corps goutteux, plein d'une ardeur guerrière,?Pour sauter au plancher fit deux pas en arrière.?Chacun bénit tout haut l'arbitre des humains,?Qui remet leur bon droit en de si bonnes mains.?Aussit?t on se lève ; et l'assemblée en foule,?Avec un bruit confus, par les portes s'écoule.
Le prélat resté seul calme un peu son dépit,?Et jusques au souper se couche et s'assoupit.
CHANT SECOND
Cependant cet oiseau qui pr?ne les merveilles,?Ce monstre composé de bouches et d'oreilles,?Qui, sans cesse volant de climats en climats,?Dit partout ce qu'il sait et ce qu'il ne sait pas ;?La Renommée enfin, cette prompte courrière,?Va d'un mortel effroi glacer la perruquière ;?Lui dit que son époux, d'un faux zèle conduit,?Pour placer un lutrin doit veiller cette nuit.
A ce triste récit, tremblante, désolée,?Elle accourt, l'oeil en feu, la tête échevelée,?Et trop s?re d'un mal qu'on pense lui celer :
Oses-tu bien encor, tra?tre, dissimuler ??Dit-elle : et ni la foi que ta main m'a donnée,?Ni nos embrassements qu'a suivis l'hyménée,?Ni ton épouse enfin toute prête à périr,?Ne sauraient donc t'?ter cette ardeur de courir ??Perfide ! si du moins, à ton devoir fidèle,?Tu veillais pour orner quelque tête nouvelle !?L'espoir d'un juste gain consolant ma langueur?Pourrait de ton absence adoucir la longueur.?Mais quel zèle indiscret, quelle aveugle entreprise?Arme aujourd'hui ton bras en faveur d'une église ??Où vas-tu cher époux, est-ce que tu me fuis ??As-tu oublié tant de si douces nuits ??Quoi ! d'un oeil sans pitié vois-tu couler mes larmes ??Au nom de nos baisers jadis si plein de charmes,?Si mon coeur, de tout temps facile à tes désirs,?N'a jamais d'un moment différé tes plaisirs ;?Si pour te prodiguer mes plus tendres caresses,?Je n'ai point exigé ni serments, ni promesses ;?Si toi seul à mon lit enfin eus toujours part ;?Diffère au moins d'un jour ce funeste départ .
En achevant ces mots cette amante enflammée?Sur un placet voisin tombe demi-pamée.?Son époux s'en émeut, et son coeur éperdu?Entre deux passions demeure suspendu ;?Mais enfin rappelant son audace première :
Ma femme, lui dit-il d'une voix douce et fière,?Je ne veux point nier les solides bienfaits?Dont ton amour prodigue a comblé mes souhaits,?Et le Rhin de ses flots ira grossir la Loire?Avant que tes faveurs sortent de ma mémoire ;?Mais ne présume pas qu'en te donnant ma foi?L'hymen m'ait pour jamais asservi sous ta loi.?Si le ciel en mes mains e?t mis ma destinée,?Nous aurions fui tous deux le joug de l'hyménée ;?Et, sans nous opposer ces devoirs prétendus,?Nous go?terions encor des plaisirs défendus.?Cesse donc à mes yeux d'étaler un vain titre :?Ne m'?te pas l'honneur d'élever un pupitre,?Et toi-même, donnant un frein à tes désirs,?Raffermis la vertu qu'ébranlent tes soupirs.?Que te dirai-je enfin ? C'est le ciel qui m'appelle,?Une église, un prélat m'engage en sa querelle,?Il
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