faut partir : j'y cours. Dissipe tes douleurs ,?Et ne me trouble plus par ces indignes pleurs.
Il la quitte à ces mots. Son amante effarée?Demeure le teint pale, et la vue égarée :?La force l'abandonne ; et sa bouche, trois fois?Voulant le rappeler, ne trouve plus de voix.?Elle fuit, et de pleurs inondant son visage,?Seule pour s'enfermer vole au cinquième étage.?Mais d'un bouge prochain accourant à ce bruit,?Sa servante Alizon la rattrape et la suit.
Les ombres cependant, sur la ville épandues,?Du fa?te des maisons descendent dans les rues .?Le souper hors du coeur chasse les chapelains,?Et de chantres buvant les cabarets sont pleins.?Le redouté Brontin, que son devoir éveille,?Sort à l'instant, chargé d'une triple bouteille,?D'un vin dont Gilotin, qui savait tout prévoir,?Au sortir du conseil eut soin de le pourvoir.?L'odeur d'un jus si doux lui rend la faim moins rude.?Il est bient?t suivi du sacristain Boirude ;?Et tous deux, de ce pas, s'en vont avec chaleur?Du trop lent perruquier réveiller la valeur.?Partons, lui dit Brontin : déjà le jour plus sombre,?Dans les eaux s'éteignant, va faire place à l'ombre.?D'où vient ce noir chagrin que je lis dans tes yeux ??Quoi ? le pardon sonnant te retrouve en ces lieux !?Où donc est ce grand coeur dont tant?t l'allégresse?Semblait du jour trop long accuser la paresse ??Marche, et suis nous du moins où l'honneur nous attend.
Le perruquier honteux rougit en l'écoutant.?Aussit?t de longs clous il prend une poignée :?Sur son épaule il charge une lourde cognée ;?Et derrière son dos, qui tremble sous le poids,?Il attache une scie en forme de carquois :?Il sort au même instant, il se met à leur tête.?A suivre ce grand chef l'un et l'autre s'apprête :?Leur coeur semble allumé d'un zèle tout nouveau ;?Brontin tient un maillet ; et Boirude un marteau.?La lune, qui du ciel voit leur démarche altière,?Retire en leur faveur sa paisible lumière.?La Discorde en sourit, et, les suivant des yeux,?De joie, en les voyant, pousse un cri dans les cieux.?L'air, qui gémit du cri de l'horrible déesse,?Va jusque dans Citeaux réveiller la Mollesse.?C'est là qu'en un dortoir elle fait son séjour :?Les Plaisirs nonchalants folatrent à l'entour ;?L'un pétrit dans un coin l'embonpoint des chanoines ;?L'autre broie en riant le vermillon des moines :?La Volupté la sert avec des yeux dévots,?Et toujours le Sommeil lui verse des pavots.?Ce soir, plus que jamais, en vain il les redouble.?La Mollesse à ce bruit se réveille, se trouble :?Quand la Nuit, qui déjà va tout envelopper,?D'un funeste récit vient encor la frapper ;?Lui conte du prélat l'entreprise nouvelle :?Aux pieds des murs sacrés d'une sainte chapelle,?Elle a vu trois guerriers, ennemis de la paix,?Marcher à la faveur de ses voiles épais.?La Discorde en ces lieux menace de s'accro?tre :?Demain avec l'aurore un lutrin va para?tre,?Qui doit y soulever un peuple de mutins :?Ainsi le ciel l'écrit au livre des destins.
A ce triste discours, qu'un long soupir achève,?La Mollesse, en pleurant, sur un bras se relève,?Ouvre un oeil languissant, et, d'un faible voix,?Laisse tomber ces mots qu'elle interrompt vingt fois :?O Nuit ! que m'as-tu dit ? quel démon sur la terre?Souffle dans tous les coeurs la fatigue et la guerre ??Hélas ! qu'est devenu ce temps, cet heureux temps,?Où les rois s'honoraient du nom de fainéants,?S'endormaient sur le tr?ne, et me servant sans honte?Laissaient leur sceptre aux mains d'un maire ou d'un comte ! Aucun soin n'approchait de leur paisible cour :?On reposait la nuit, on dormait tout le jour.?Seulement au printemps, quand Flore dans les plaines?Faisait taire des vents les bruyantes haleines,?Quatre boeufs attelés, d'un pas tranquille et lent,?Promenaient dans Paris le monarque indolent.?Ce doux siècle n'est plus. Le ciel impitoyable?A placé sur le tr?ne un prince infatigable.?Il brave mes douceurs, il est sourd à ma voix :?Tous les jours il m'éveille du bruit de ses exploits.?Rien ne peut arrêter sa vigilante audace :?L'été n'a point de feux, l'hiver n'a point de glace.?J'entends à son seul nom tous mes sujets frémir?En vain deux fois la paix a voulu l'endormir ;?Loin de moi son courage, entra?né par la gloire,?Ne se pla?t qu'à courir de victoire en victoire.?Je me fatiguerais de te tracer le cours?Des outrages cruels qu'il me fait tous les jours.?Je croyais, loin des lieux où ce prince m'exile,?Que l'Eglise du moins m'assurait un asile.?Mais qu'en vain j'espérais y régner sans effroi :?Moines, abbés prieurs, tout s'arme contre moi.?Par mon exil honteux la Trappe est ennoblie ;?J'ai vu dans Saint Denys la réforme établie ;?La Carme, le Feuillant, s'endurcit aux travaux ;?Et la règle déjà se remet dans Clairvaux.?Citeaux dormait encor, et la sainte Chapelle?Conservait du vieux temps l'oisiveté fidèle :?Et voici qu'un lutrin, prêt à tout renverser,?D'un séjour si chéri vient encor me chasser !?O toi, de mon repos, compagne aimable et sombre,?A de si noirs forfaits prêteras-tu ton ombre ??Ah !
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