Le Lutrin | Page 7

Boileau
effrayés laisse
dire le reste.
Girot en vain l'assure, et, riant de sa peur,
Nomme sa
vision l'effet d'une vapeur :
Le désolé vieillard, qui hait la raillerie,

Lui défend de parler, sort du lit en furie.
On apporte à l'instant ses
somptueux habits,
Où sur l'ouate molle éclata le tabis.
D'une longue
soutane il endosse la moire,
Prend ses gants violets, les marques de sa
gloire ;
Et saisit, en pleurant, ce rochet qu'autrefois
Le prélat trop
jaloux lui rogna de trois doigts.
Aussitôt d'un bonnet ornant sa tête
grise,
Déjà l'aumuce en main il marche vers l'église,
Et, hâtant de
ses ans l'importune langueur,
Court, vole, et, le premier, arrive dans
le choeur.
O toi qui, sur ces bords qu'une eau dormante mouille
Vit combattre
autrefois le rat et la grenouille ;
Qui, par les traits hardis d'un bizarre
pinceau,
Mit l'Italie en feu pour la perte d'un seau ;
Muse, prête à
ma bouche une voix plus sauvage,
Pour chanter le dépit, la colère, la
rage,
Que le chantre sentit allumer dans son sang
A l'aspect du
pupitre élevé sur son banc.
D'abord pâle et muet, de colère immobile,

A force de douleur, il demeura tranquille ;
Mais sa voix
s'échappant au travers des sanglots
Dans sa bouche à la fin fit passage
à ces mots :
La voilà donc, Girot, cette hydre épouvantable
Que m'a
fait voir un songe, hélas ! trop véritable !
Je le vois ce dragon tout
prêt à m'égorger,

Ce pupitre fatal qui me doit ombrager !
Prélat, que
t'ai-je fait ? quelle rage envieuse
Rend pour me tourmenter ton âme
ingénieuse ?
Quoi ! même dans ton lit, cruel, entre deux draps,
Ta
profane fureur ne se repose pas !
O ciel ! quoi ! sur mon banc une

honteuse masse
Désormais me va faire un cachot de ma place !

Inconnu dans l'église, ignoré dans ce lieu,
Je ne pourrai donc plus être
vu que de Dieu !
Ah ! plutôt qu'un moment cet affront m'obscurcisse,

Renonçons à l'autel, abandonnons l'office ;
Et, sans lasser le ciel
par de chants superflus,
Ne voyons plus un choeur où l'on ne nous
voit plus.
Sortons... Mais cependant mon ennemi tranquille
Jouira
sur son banc de ma rage inutile,
Et verra dans le choeur le pupitre
exhaussé
Tourner sur le pivot où sa main l'a placé !
Non, s'il n'est
abattu, je ne saurais plus vivre.
A moi, Girot, je veux que mon bras
l'en délivre.
Périssons s'il le faut, mais de ses ais brisés
Entraînons,
en mourant, les restes divisés.
A ces mots, d'une main par la rage affermie,
Il saisissait déjà la
machine ennemie.
Lorsqu'en ce sacré lieu, par un heureux hasard,

Entre Jean le choriste, et le sonneur Girard
Deux Manseaux
renommés, en qui l'expérience
Pour les procès est jointe à la vaste
science.
L'un et l'autre aussitôt prend part à son affront.
Toutefois
condamnant un mouvement trop prompt
Du lutrin, disent-ils, abattons
la machine :
Mais ne nous chargeons pas tous seuls de sa ruine ;
Et
que tantôt, aux yeux du chapitre assemblé,
Il soit sous trente mains en
plein jour accablé.
Ces mots des mains du chantre arrachent le pupitre.
J'y consens, leur
dit-il ; assemblons le chapitre.
Allez donc de ce pas, par de saints
hurlements,
Vous-mêmes appeler les chanoines dormants.
Partez.
Mais ce discours les surprend et les glace.
Nous ! qu'en ce vain projet,
pleins d'une folle audace,
Nous allions, dit Girard, la nuit nous
engager !
De notre complaisance osez-vous l'exiger ?
Hé ! seigneur !
quand nos cris pourraient, du fond des rues, De leurs appartements
percer les avenues,
Réveiller ces valets autour d'eux étendus,
De
leurs sacrés repos ministres assidus,
Et pénétrer des lits aux bruits
inaccessibles ;

Pensez-vous, au moment que les ombres paisibles
A
ces lits enchanteurs ont su les attacher.
Que la voix d'un mortel les en
puisse arracher ?
Deux chantres feront-ils, dans l'ardeur de vous

plaire,
Ce que depuis trente ans six cloches n'ont pu faire ?
Ah ! je vois bien où tend tout ce discours trompeur,
Reprend le chaud
vieillard : le prélat vous fait peur.
Je vous ai vus cent fois, sous sa
main bénissante,
Courber servilement une épaule tremblante.
Hé
bien ! allez ; sous lui fléchissez les genoux :
Je saurai réveiller les
chanoines sans vous.
Viens, Girot, seul ami qui me reste fidèle :

Prenons du saint jeudi la bruyante crécelle.
Suis-moi. Qu'à son lever
le soleil aujourd'hui
trouve tout le chapitre éveillé devant lui.
Il dit. Du fond poudreux d'une armoire sacrée
Par les mains de Girot
la crécelle est tirée.
Ils sortent à l'instant, et, par d'heureux efforts,

Du lugubre instrument font crier les ressorts.
Pour augmenter l'effroi,
la Discorde infernale
Monte dans le palais, entre dans la grand'salle,

Et, du fond de cet antre, au travers de la nuit,
Fait sortir le démon
du tumulte et du bruit.
Le quartier alarmé n'a plus d'yeux qui
sommeillent ;
Déjà de toutes parts les chanoines s'éveillent
L'on
croit que le tonnerre est tombé sur les toits,
Et que l'église brûle une
seconde fois ;
L'autre, encor agité de vapeurs plus funèbres,
Pense
être au jeudi saint, croit que l'on dit ténèbres,
Et déjà tout confus,
tenant midi sonné,
En soi-même frémit de n'avoir point dîné.
Ainsi, lorsque tout prêt à briser cent murailles
Louis, la foudre en
main abandonnant Versailles,
Au retour du
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