Le Lutrin | Page 6

Boileau
;
Prend un cierge en sa main, et d'une voix cassée,

Vient ainsi gourmander la troupe terrassée.
Lâches, où fuyez-vous ? quelle peur vous abat ?
Aux cris du vil
oiseau vous cédez sans combat ?
Où sont ces beaux discours jadis si
pleins d'audace ?
Craignez-vous d'un hibou l'impuissante grimace ?

Que feriez-vous, hélas, si quelque exploit nouveau
Chaque jour,
comme moi, vous traînait au barreau ;
S'il fallait, sans amis, briguant
une audience,
D'un magistrat glacé soutenir la présence,
Ou, d'un
nouveau procès, hardi solliciteur,
Aborder sans argent un clerc de
rapporteur ?
Croyez-moi, mes enfants, je vous parle à bon titre :
J'ai
moi seul autrefois plaidé tout un chapitre ;
Et le barreau n'a point de
monstres si hagards,
Dont mon oeil n'ait cent fois soutenu les regards.

Tous les jours sans trembler j'assiégeais leurs passages.
L'Eglise
était alors fertile en grands courages :
Le moindre d'entre nous, sans
argent, sans appui,

Eût plaidé le prélat, et le chantre avec lui.
Le

monde, de qui l'âge avance les ruines,
Ne peut plus enfanter de ces
âmes divines :
Mais que vos coeurs, du moins, imitant leurs vertus,

De l'aspect d'un hibou ne soient pas abattus.
Songez quel déshonneur
va souiller votre gloire,
Quand le chantre demain entendra sa victoire.

Vous verrez tous les jours le chanoine insolent,
Au seul mot de
hibou, vous sourire en parlant.
Votre âme, à ce penser, de colère
murmure :
Allez donc de ce pas en prévenir l'injure ;
Méritez les
lauriers qui vous sont réservés,
Et ressouvenez-vous quel prélat vous
servez.
Mais déjà la fureur dans vos yeux étincelle.
Marchez,
courez, volez où l'honneur vous appelle.
Que le prélat, surpris d'un
changement si prompt,
Apprenne la vengeance aussitôt que l'affront.
En achevant ces mots, la déesse guerrière
De son pied trace en l'air un
sillon de lumière ;
rend aux trois champions leur intrépidité,
Et les
laisse tout pleins de sa divinité.
C'est ainsi, grand Condé, qu'en ce combat célèbre,
Où ton bras fit
trembler le Rhin, l'Escaut et l'Ebre,
Lorsqu'aux plaines de Lens nos
bataillons poussés
Furent presque à tes yeux ouverts ou renversés,

Ta valeur, arrêtant les troupes fugitives,
Rallia d'un regard leurs
cohortes craintives ;
Répandit dans leurs rangs ton esprit belliqueux,

Et força la victoire à te suivre avec eux.
La colère à l'instant succédant à la crainte,
Ils rallument le feu de leur
bougie éteinte :
Ils rentrent ; l'oiseau sort : l'escadron raffermi
Rit
du honteux départ d'un si faible ennemi.
Aussitôt dans le choeur la
machine emportée
Est sur le banc du chantre à grand bruit remontée.

Ses ais demi-pourris, que l'âge a relâchés,
Sont à coups de maillet
unis et rapprochés.
Sous les coups redoublés tous les bancs
retentissent,
Les murs en sont émus, les voûtes en mugissent.
Et
l'orgue même en pousse un long gémissement.
Que fais-tu, chantre, hélas ! dans ce triste moment ?
Tu dors d'un
profond somme, et ton coeur sans alarmes
Ne sait pas qu'on bâtit

l'instrument de tes larmes !
Oh ! que si quelque bruit, par un heureux
réveil,
T'annonçait du lutrin le funeste appareil ;
Avant que de
souffrir qu'on en posât la masse,
Tu viendrais en apôtre expirer dans
ta place ;
Et, martyr glorieux d'un point d'honneur nouveau
Offrir
ton corps aux clous et ta tête au marteau.
Mais déjà sur ton banc la machine enclavée
Est, durant ton sommeil,
à ta honte élevée.
Le sacristain achève en deux coups de rabot ;
Et
le pupitre enfin tourne sur son pivot.
CHANT QUATRIEME
Les cloches, dans les airs, de leurs voix argentines,
Appelaient à
grand bruit les chantres à matines ;
Quand leur chef, agité d'un
sommeil effrayant,
Encor tout en sueur se réveille en criant.
Aux
élans redoublés de sa voix douloureuse,
Tous ses valets tremblants
quittent la plume oiseuse ;
Le vigilant Girot court à lui le premier :

C'est d'un maître si saint le plus digne officier ;
La porte dans le
choeur à sa garde est commise :
Valet souple au logis, fier huissier à
l'église.
Quel chagrin, lui dit-il, trouble votre sommeil ?
Quoi ! voulez-vous
au choeur prévenir le soleil ?
Ah ! dormez, et laissez à des chantres
vulgaires
Le soin d'aller sitôt mériter leurs salaires.
Ami, lui dit le chantre encor pâle d'horreur,
N'insulte point, de grâce,
à ma juste terreur :
Mêle plutôt ici tes soupirs à mes plaintes,
Et
tremble en écoutant le sujet de mes craintes.
Pour la seconde fois un
sommeil grâcieux
Avait sous ses pavots appesanti mes yeux ;

Quand, l'esprit enivré d'une douce fumée,
J'ai cru remplir au choeur
ma place accoutumée.
Là, triomphant aux yeux des chantres
impuissant,
Je bénissais le peuple, et j'avalais l'encens ;
Lorsque du
fond caché de notre sacristie
Une épaisse nuée à longs flots est sortie,

Qui, s'ouvrant à mes yeux, dans un bleuâtre éclat
M'a fait voir un

serpent conduit par le prélat.
Du corps de ce dragon, plein de soufre
et de nitre,
Une tête sortait en forme de pupitre,
Dont le triangle
affreux, tout hérissé de crins,
Surpassait en grosseur nos plus épais
lutrins.
Animé par son guide, en sifflant il s'avance :
Contre moi sur
mon banc je le vois qui s'élance.
J'ai crié, mais en vain : et, fuyant sa
fureur,
Je me suis réveillé plein de trouble et d'horreur.
Le chantre, s'arrêtant à cet endroit funeste,
A ses yeux
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