Le Lutrin | Page 5

Boileau
sainte Chapelle
Conservait du vieux temps l'oisiveté

fidèle :
Et voici qu'un lutrin, prêt à tout renverser,
D'un séjour si
chéri vient encor me chasser !
O toi, de mon repos, compagne
aimable et sombre,
A de si noirs forfaits prêteras-tu ton ombre ?

Ah ! Nuit, si tant de fois, dans les bras de l'amour,
Je t'admis aux
plaisirs que je cachais au jour,
Du moins ne permets pas... La
Mollesse oppressée
Dans sa bouche à ce mot sent sa langue glacée ;

Et, lasse de parler, succombant sous l'effort,
Soupire, étend les bras,
ferme l'oeil et s'endort.
CHANT TROISIEME
Mais la nuit aussitôt de ses ailes affreuses
Couvre des Bourguignons
les campagnes vineuses,
Revole vers Paris, et, hâtant son retour,

Déjà de Mont-Lhéri voit la fameuse tour.
Ses murs, dont le sommet
se dérobe à la vue,
Sur la cime d'un roc s'allongent dans la nue,
Et
présentant de loin leur objet ennuyeux,
Du passant qui le fuit
semblent le suivre des yeux.
Mille oiseaux effrayants, mille corbeaux
funèbres,
De ces murs désertés habitent les ténèbres.
Là, depuis
trente hivers, un hibou retiré
Trouvait contre le jour un refuge assuré.

Des désastres fameux ce messager fidèle
Sait toujours des
malheurs la première nouvelle,
Et, tout prêt d'en semer le présage
odieux,
Il attendait la nuit dans ces sauvages lieux.
Aux cris qu'à
son abord vers le ciel il envoie,
Il rend tous ses voisins attristés de sa
joie.
La plaintive Prognée de douleur en frémit ;
Et, dans les bois
prochains, Philomène en gémit.
Suis-moi, lui dit la Nuit. L'oiseau
plein d'allégresse
Reconnaît à ce ton la voix de sa maîtresse.
Il la
suit : et tous deux, d'un cours précipité,
De Paris à l'instant ils
abordent la cité ;
Là, s'élançant d'un vol que le vent favorise,
Ils
montent au sommet de la fatale église.
La Nuit baisse la vue, et, du
haut du clocher,
Observe les guerriers, les regarde marcher.
Elle
voit le barbier qui, d'une main légère,
Tient un verre de vin qui rit
dans la fougère ;
Et chacun, tour à tour s'inondant de ce jus,

Célébrer, en riant, Gilotin et Bacchus.
Ils triomphent, dit-elle, et leur

âme abusée
Se promet dans mon ombre une victoire aisée :
Mais
allons ; il est temps qu'il connaissent la Nuit.
A ces mots, regardant le
hibou qui la suit,
Elle perce les murs de la voûte sacrée ;
Jusqu'à la
sacristie elle s'ouvre une entrée
Et, dans le ventre creux du pupitre
fatal,
Va placer de ce pas le sinistre animal.
Mais les trois champions, pleins de vin et d'audace,
Du palais
cependant passent la grande place ;
Et, suivant de Bacchus les
auspices sacrés,
De l'auguste chapelle ils montent les degrés.
Ils
atteignaient déjà le superbe portique
Où Ribou le libraire, au fond de
sa boutique,
Sous vingt fidèles clefs, garde et tient en dépôt
L'amas
toujours entier des écrits de Haynaut :
Quand Boirude, qui voit que le
péril approche,
Les arrête, et, tirant un fusil de sa poche,
Des veines
d'un caillou, qu'il frappe au même instant,
Il fait jaillir un feu qui
pétille en sortant ;
Et bientôt, au brasier d'une mèche enflammée,

Montre, à l'aide du soufre, une cire allumée.
Cet astre tremblotant,
dont le jour les conduit,
Est pour eux un soleil au milieu de la nuit.

Le temple à sa faveur est ouvert par Boirude :
Ils passent de la nef la
vaste solitude,
Et dans la sacristie entrant, non sans terreur,
En
percent jusqu'au fond la ténébreuse horreur.
C'est là que du lutrin gît la machine énorme :
La troupe quelque
temps en admire la forme.
Mais le barbier, qui tient les moments
précieux :
Ce spectacle n'est pas pour amuser nos yeux,
Dit-il : ce
temps est cher, portons-le dans le temple :
C'est là qu'il faut demain
qu'un prélat le contemple.
Et d'un bras, à ces mots, qui peut tout
ébranler,
Lui-même, se courbant, s'apprête à le rouler.
Mais à peine
il y touche, ô prodige incroyable !
Que du pupitre sort une voix
effroyable.
Brontin en est ému, le sacristain pâlit ;
Le perruquier
commence à regretter son lit.

Dans son hardi projet toutefois il
s'obstine ;
Lorsque des flanc poudreux de la vaste machine
L'oiseau
sort en courroux, et, d'un cri menaçant,
Achève d'étonner le barbier
frémissant :
De ses ailes dans l'air secouant la poussière,
Dans la

main de Boirude il éteint la lumière.
Les guerriers à ce coup
demeurent confondus ;
Ils regagnent la nef, de frayeur éperdus :

Sous leurs corps tremblotants leurs genoux s'affaiblissent, D'une subite
horreur leurs cheveux se hérissent ;
Et bientôt, au travers des ombres
de la nuit,
Le timide escadron se dissipe et s'enfuit.
Ainsi lorsqu'en un coin, qui leur tient lieu d'asile,
D'écoliers libertins
une troupe indocile,
Loin des yeux d'un préfet au travail assidu
Va
tenir quelquefois un brelan défendu :
Si du vaillant Argas la figure
effrayante
Dans l'ardeur du plaisir à leurs yeux se présente,
Le jeu
cesse à l'instant, l'asile est déserté,
Et tout fuit à grand pas le tyran
redouté.
La Discorde, qui voit leur honteuse disgrâce,
Dans les airs, cependant
tonne, éclate, menace,
Et, malgré la frayeur dont leurs coeurs sont
glacés,
S'apprête à réunir ses soldats dispersés.
Aussitôt de Sidrac
elle emprunte l'image :
Elle ride son front, allonge son visage,
Sur
un bâton noueux laisse courber son corps,
Dont la chicane semble
animer les ressorts
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