Le Journal de la Belle Meunière | Page 3

Marie Quinton
pour bien lire sur son visage...
* * *
5.--Jeudi 14 juillet.
La revue s'est faite, mais Il n'y était pas. C'est un général à plume noire
qui commandait. La foule était plus grande encore que ce dimanche, et
cela a été pour tous une immense déception.
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13.--Lundi 10 octobre.
Nous prenons nos quartiers d'hiver, car, décidément, la saison et
l'arrière-saison sont bien finies. Je congédie pour le 15 les extras que
j'avais encore retenus à mon service passé le 1er octobre.
J'ai fait fermer la plupart des locaux, j'ai réduit au strict minimum les
fournitures qu'on m'apporte tous les jours. Nous allons passer
maintenant au travaux d'hiver, à commencer par les soins à donner au
vin nouveau.
* * *
14.--Jeudi 13 octobre.
Que vient-on de m'apprendre? Le général Boulanger mis aux arrêts de
rigueur pendant trente jours pour avoir flétri les scandales dont le flot
boueux monte sans cesse.
* * *
16.--Samedi 22 octobre.

Ce soir sont venus dîner deux messieurs, visiblement des officiers en
civil, le plus âgé grand, très brun, fortement charpenté, grosse
moustache noire, l'autre de taille plutôt petite, cheveux blonds, mince
moustache blonde, une tête de vrai gentleman, toute fine et distinguée.
Les voilà installés. Mon rôle est terminé pour l'instant, et je leur tire ma
révérence, me promettant simplement d'aller les reconduire lorsqu'ils
s'en iront, afin de leur poser la question traditionnelle: «Avez-vous été
satisfaits, Messieurs?»
Mais ce sont eux qui me font appeler. Ils en étaient au dessert. Le plus
âgé prend la parole, me complimente sur le dîner, puis me demande s'il
m'est possible de recevoir des pensionnaires dans le courant du mois et
quels appartements je pourrais leur donner?
Je prends aussitôt une lampe et les invite à me suivre. Nous montons au
premier étage. Je leur fais voir les deux chambres à coucher et la salle à
manger qui s'y trouvent. Ils les examinent avec le plus grand soin, les
parcourent en tous sens, se rendent minutieusement compte de la
distribution, se font ouvrir les fenêtres, m'interrogent sur mille détails,
enfin, se déclarent satisfaits de cet appartement, pourvu que je
transforme l'une des deux chambres à coucher en un cabinet de toilette
des plus confortables. Ils me laissent deux jours pour tout mettre en
état.
Nous redescendons, et ils sont sur le point de franchir le seuil de la
maison, quand, tout à coup, ils reviennent vers moi avec l'air d'avoir
oublié quelque chose. Ils se regardent un moment, comme s'ils se
demandaient qui parlerait le premier. Je les regarde de mon côté et nous
restons ainsi une bonne minute. Enfin, le plus âgé se décide et me dit à
voix basse: «Nous aurions encore quelque chose à vous demander, tout
à fait en particulier.»
Sans un mot, je les ramène dans leur salle à manger, et, la porte
refermée, je leur fais signe de s'expliquer.
«Ce que nous avons à vous demander, continue le même, est une faveur
exceptionnelle... Voici: nos amis, qui doivent arriver chez vous

après-demain soir, tiennent à prendre les plus grandes précautions pour
n'être pas reconnus... Sans doute s'en exagèrent-ils la nécessité: mais,
puisqu'ils y attachent une telle importance, il faut, Madame, que vous
fassiez en sorte que personne, entendez-vous, personne, ne puisse se
douter de leur présence ici... Il faudrait donc que personne, même de
vos gens de service, ne puisse pénétrer dans l'escalier et dans les
couloirs pendant tout le temps qu'ils passeront ici... Il faudrait, en un
mot, et c'est la faveur que nous vous demandons, que nos amis soient
servis exclusivement par vous...»
La demande m'a tellement surprise, c'était pour moi chose si nouvelle,
que je suis restée un bon moment sans répondre. Ils ont insisté tous
deux:
«Nous vous le demandons instamment, Madame...»
Alors, je leur ait dit: «Oui», et ils sont partis. De la part de qui
venaient-ils? Quel est ce couple mystérieux que ma maison devra
cacher aux yeux du monde?
* * *
17.--Dimanche 23 octobre.
J'ai longuement réfléchi aux dispositions à prendre pour bien recevoir
le couple annoncé avec tant de mystère par ces deux officiers en civil et
surtout pour qu'il se sente en pleine sécurité. Il m'est venu subitement
une réflexion singulière: ce visiteur, qui a tant intérêt à ce que personne
au monde ne puisse soupçonner sa présence sous mon toit, ne serait-ce
pas le fameux commandant en chef du 13e corps, le général Boulanger
lui-même?
Je me suis dit aussitôt que c'était impossible, puisque les arrêts de
rigueur ont transformé sa résidence de Clermont en une prison dont il
lui est interdit de sortir avant le mois prochain. Mais, j'ai beau me
répéter encore que cela n'est
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