pas, il y a une idée fixe qui me hante en
m'affirmant le contraire.
Décidément, la boulangite me tourne la tête! Elle me fait voir du
Boulanger un peu partout.
Du moins, mon idée fixe ne sera-t-elle pas pour faire du tort au couple
attendu demain. Dans l'incertitude, je soigne l'installation de leur
logement comme je ne l'ai jamais fait de ma vie. À défaut des dorures
de nos grands hôtels de Royat, je veux qu'ils trouvent chez moi un nid
tout plein de gaîté, de lumière et de fleurs.
J'ai levé, dès ce matin, une grosse difficulté qui m'inquiétait un peu. J'ai
fait comprendre à ma vieille mère et à ma bonne soeur qu'il fallait
s'effacer, s'en remettre entièrement à moi, me laisser maîtresse absolue
d'agir comme les circonstances le commandaient. Les excellentes
femmes m'aiment tant et me portent une confiance tellement illimitée
qu'elles n'ont pas fait une objection. Elles vont s'installer dans une autre
aile de la maison et me laisseront toute seule ici, dans une chambre
située au-dessus de l'appartement du couple. Ma vieille servante
Françoise, mise au courant à son tour, me secondera avec la plus
entière discrétion.
Ce soir, sont venus dîner des journalistes et des messieurs du Conseil
municipal de Clermont. Naturellement, on n'a parlé que de deux choses:
des scandales des décorations et des arrêts du général Boulanger.
«Rester un mois chez soi, a dit un de ces messieurs, la belle affaire,
vraiment, et la grande privation, quand on est bien portant,
confortablement installé, doté d'une bonne cuisine et qu'on a,
par-dessus le marché, sa femme près de soi...»
«Oh! quant à ce dernier point, a dit un autre, autant ne pas en parler. On
sait parfaitement que Mme Boulanger est une très digne et respectable
dame, mais qu'elle n'est plus une épouse pour le général.»
Cette opinion a surpris la plupart des assistants. Une discussion s'est
engagée. Les uns soutenaient que le général était excellent père de
famille, époux modèle, à quoi les autres ont répondu que le général
était un «cascadeur», qu'il ne s'en cachait guère, du reste, et qu'on
l'avait assez vu avec la «dame blonde»...
À ce moment précis, Françoise est venue me réclamer. Je l'ai envoyée
au diable.
«Oui, Messieurs, disait l'un des journalistes, la petite dame blonde
qu'on a tant de fois aperçue traversant avec lui le Bois de Boulogne en
coupé fermé... Elle a beau mettre d'épaisses voilettes, on a tout de
même fini par démasquer son incognito...»
«Son nom! son nom!» se sont-ils tous écriés.
«Eh bien! Messieurs, c'est tout simplement Mlle R..., de la
Comédie-Française, la toujours jeune et mignonne ingénue!»
Françoise me rappelait, je me suis enfuie.
Une actrice!
CHAPITRE II
Premier Séjour
* * *
18.--Lundi 24 octobre.
3 HEURES DE L'APRÈS-MIDI
Ce matin, je suis descendue à Clermont pour me procurer des plantes et
des fleurs. Je suis entrée chez le plus grand photographe, et j'ai
demandé le portrait de Mlle R..., de la Comédie-Française. Je l'ai là
sous les yeux. Ce n'est pas une véritable beauté, mais on n'est pas plus
mignonne, plus délicate. Et quelle expression de finesse dans ce regard,
dans ce sourire!... Sera-ce elle?
J'aime mieux penser à autre chose. Je suis heureuse de jeter ces notes,
en attendant qu'approche l'heure où se résoudra l'énigme: dans trois
heures d'ici, à six heures! Si je ne me donnais pas cette distraction, je
mourrais d'impatience!
Voyons, je vais faire le «voyage autour de ma chambre», décrire
l'appartement, maintenant tout prêt.
Il occupe le premier étage, au haut de l'escalier qui commence à la
petite porte donnant sur le chemin de la Grotte de Royat. Un couloir sur
lequel débouchent trois pièces: à gauche, la chambre à coucher; à droite,
le cabinet de toilette; à droite, tout au fond, la salle à manger. On ne
peut arriver à celle-ci que par le couloir, mais on peut passer de la
chambre à coucher dans le cabinet de toilette directement, en traversant
seulement une petite pièce intermédiaire, pratiquée aux dépens du
cabinet de toilette par une cloison posée après coup.
La salle à manger a trois fenêtres, dont deux donnant sur la terrasse de
l'hôtel et la troisième sur la route de la Vallée. À part le buffet, le
dressoir, la table, les fauteuils en chêne, j'y ai fait placer, à tout hasard,
un piano.
La fenêtre du cabinet de toilette et celle de la petite pièce intermédiaire
donnent toutes deux sur la vallée de Royat elle-même, sur la gentille
Tiretaine qui ruisselle et serpente au fond du ravin. La chambre à
coucher a deux fenêtres, l'une s'ouvrant sur la vallée, l'autre lui faisant
vis-à-vis et donnant sur le chemin de la Grotte.
Leur plaira-t-elle? Si non, ce ne sera pas de ma faute, car, toute
l'ingéniosité dont je puis disposer, je l'ai employée
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