vieille mère et à ma bonne soeur qu'il fallait s'effacer, s'en remettre entièrement à moi, me laisser ma?tresse absolue d'agir comme les circonstances le commandaient. Les excellentes femmes m'aiment tant et me portent une confiance tellement illimitée qu'elles n'ont pas fait une objection. Elles vont s'installer dans une autre aile de la maison et me laisseront toute seule ici, dans une chambre située au-dessus de l'appartement du couple. Ma vieille servante Fran?oise, mise au courant à son tour, me secondera avec la plus entière discrétion.
Ce soir, sont venus d?ner des journalistes et des messieurs du Conseil municipal de Clermont. Naturellement, on n'a parlé que de deux choses: des scandales des décorations et des arrêts du général Boulanger.
?Rester un mois chez soi, a dit un de ces messieurs, la belle affaire, vraiment, et la grande privation, quand on est bien portant, confortablement installé, doté d'une bonne cuisine et qu'on a, par-dessus le marché, sa femme près de soi...?
?Oh! quant à ce dernier point, a dit un autre, autant ne pas en parler. On sait parfaitement que Mme Boulanger est une très digne et respectable dame, mais qu'elle n'est plus une épouse pour le général.?
Cette opinion a surpris la plupart des assistants. Une discussion s'est engagée. Les uns soutenaient que le général était excellent père de famille, époux modèle, à quoi les autres ont répondu que le général était un ?cascadeur?, qu'il ne s'en cachait guère, du reste, et qu'on l'avait assez vu avec la ?dame blonde?...
à ce moment précis, Fran?oise est venue me réclamer. Je l'ai envoyée au diable.
?Oui, Messieurs, disait l'un des journalistes, la petite dame blonde qu'on a tant de fois aper?ue traversant avec lui le Bois de Boulogne en coupé fermé... Elle a beau mettre d'épaisses voilettes, on a tout de même fini par démasquer son incognito...?
?Son nom! son nom!? se sont-ils tous écriés.
?Eh bien! Messieurs, c'est tout simplement Mlle R..., de la Comédie-Fran?aise, la toujours jeune et mignonne ingénue!?
Fran?oise me rappelait, je me suis enfuie.
Une actrice!
CHAPITRE II
Premier Séjour
* * *
18.--Lundi 24 octobre.
3 HEURES DE L'APRèS-MIDI
Ce matin, je suis descendue à Clermont pour me procurer des plantes et des fleurs. Je suis entrée chez le plus grand photographe, et j'ai demandé le portrait de Mlle R..., de la Comédie-Fran?aise. Je l'ai là sous les yeux. Ce n'est pas une véritable beauté, mais on n'est pas plus mignonne, plus délicate. Et quelle expression de finesse dans ce regard, dans ce sourire!... Sera-ce elle?
J'aime mieux penser à autre chose. Je suis heureuse de jeter ces notes, en attendant qu'approche l'heure où se résoudra l'énigme: dans trois heures d'ici, à six heures! Si je ne me donnais pas cette distraction, je mourrais d'impatience!
Voyons, je vais faire le ?voyage autour de ma chambre?, décrire l'appartement, maintenant tout prêt.
Il occupe le premier étage, au haut de l'escalier qui commence à la petite porte donnant sur le chemin de la Grotte de Royat. Un couloir sur lequel débouchent trois pièces: à gauche, la chambre à coucher; à droite, le cabinet de toilette; à droite, tout au fond, la salle à manger. On ne peut arriver à celle-ci que par le couloir, mais on peut passer de la chambre à coucher dans le cabinet de toilette directement, en traversant seulement une petite pièce intermédiaire, pratiquée aux dépens du cabinet de toilette par une cloison posée après coup.
La salle à manger a trois fenêtres, dont deux donnant sur la terrasse de l'h?tel et la troisième sur la route de la Vallée. à part le buffet, le dressoir, la table, les fauteuils en chêne, j'y ai fait placer, à tout hasard, un piano.
La fenêtre du cabinet de toilette et celle de la petite pièce intermédiaire donnent toutes deux sur la vallée de Royat elle-même, sur la gentille Tiretaine qui ruisselle et serpente au fond du ravin. La chambre à coucher a deux fenêtres, l'une s'ouvrant sur la vallée, l'autre lui faisant vis-à-vis et donnant sur le chemin de la Grotte.
Leur plaira-t-elle? Si non, ce ne sera pas de ma faute, car, toute l'ingéniosité dont je puis disposer, je l'ai employée à la rendre coquette et avenante. De toutes parts, j'ai placé des fleurs: ici des roses tout épanouies, là des oeillets sur le point de s'ouvrir.
Les rideaux du lit et des croisées sont en guipure crème doublée de satin rose. Les tentures sont en une étoffe qui n'a pas grande valeur, mais qui en prend sous la lumière, car elle est entre-semée de paillettes d'or. J'ai répandu la lumière à profusion, tout en ne lui laissant aucune crudité. J'ai suspendu au plafond une lampe à trois becs, surmontée d'un abat-jour rose que j'ai été longue à trouver. Sachant que les Parisiennes aiment à se coiffer, tout en causant, dans leur chambre, j'ai installé une table de toilette, aux deux c?tés de laquelle j'ai appliqué deux lampes ayant
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