Le Journal de la Belle Meunière | Page 3

Marie Quinton
sont bien finies. Je congédie pour le 15 les extras que j'avais encore retenus à mon service passé le 1er octobre.
J'ai fait fermer la plupart des locaux, j'ai réduit au strict minimum les fournitures qu'on m'apporte tous les jours. Nous allons passer maintenant au travaux d'hiver, à commencer par les soins à donner au vin nouveau.
* * *
14.--Jeudi 13 octobre.
Que vient-on de m'apprendre? Le général Boulanger mis aux arrêts de rigueur pendant trente jours pour avoir flétri les scandales dont le flot boueux monte sans cesse.
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16.--Samedi 22 octobre.
Ce soir sont venus d?ner deux messieurs, visiblement des officiers en civil, le plus agé grand, très brun, fortement charpenté, grosse moustache noire, l'autre de taille plut?t petite, cheveux blonds, mince moustache blonde, une tête de vrai gentleman, toute fine et distinguée.
Les voilà installés. Mon r?le est terminé pour l'instant, et je leur tire ma révérence, me promettant simplement d'aller les reconduire lorsqu'ils s'en iront, afin de leur poser la question traditionnelle: ?Avez-vous été satisfaits, Messieurs??
Mais ce sont eux qui me font appeler. Ils en étaient au dessert. Le plus agé prend la parole, me complimente sur le d?ner, puis me demande s'il m'est possible de recevoir des pensionnaires dans le courant du mois et quels appartements je pourrais leur donner?
Je prends aussit?t une lampe et les invite à me suivre. Nous montons au premier étage. Je leur fais voir les deux chambres à coucher et la salle à manger qui s'y trouvent. Ils les examinent avec le plus grand soin, les parcourent en tous sens, se rendent minutieusement compte de la distribution, se font ouvrir les fenêtres, m'interrogent sur mille détails, enfin, se déclarent satisfaits de cet appartement, pourvu que je transforme l'une des deux chambres à coucher en un cabinet de toilette des plus confortables. Ils me laissent deux jours pour tout mettre en état.
Nous redescendons, et ils sont sur le point de franchir le seuil de la maison, quand, tout à coup, ils reviennent vers moi avec l'air d'avoir oublié quelque chose. Ils se regardent un moment, comme s'ils se demandaient qui parlerait le premier. Je les regarde de mon c?té et nous restons ainsi une bonne minute. Enfin, le plus agé se décide et me dit à voix basse: ?Nous aurions encore quelque chose à vous demander, tout à fait en particulier.?
Sans un mot, je les ramène dans leur salle à manger, et, la porte refermée, je leur fais signe de s'expliquer.
?Ce que nous avons à vous demander, continue le même, est une faveur exceptionnelle... Voici: nos amis, qui doivent arriver chez vous après-demain soir, tiennent à prendre les plus grandes précautions pour n'être pas reconnus... Sans doute s'en exagèrent-ils la nécessité: mais, puisqu'ils y attachent une telle importance, il faut, Madame, que vous fassiez en sorte que personne, entendez-vous, personne, ne puisse se douter de leur présence ici... Il faudrait donc que personne, même de vos gens de service, ne puisse pénétrer dans l'escalier et dans les couloirs pendant tout le temps qu'ils passeront ici... Il faudrait, en un mot, et c'est la faveur que nous vous demandons, que nos amis soient servis exclusivement par vous...?
La demande m'a tellement surprise, c'était pour moi chose si nouvelle, que je suis restée un bon moment sans répondre. Ils ont insisté tous deux:
?Nous vous le demandons instamment, Madame...?
Alors, je leur ait dit: ?Oui?, et ils sont partis. De la part de qui venaient-ils? Quel est ce couple mystérieux que ma maison devra cacher aux yeux du monde?
* * *
17.--Dimanche 23 octobre.
J'ai longuement réfléchi aux dispositions à prendre pour bien recevoir le couple annoncé avec tant de mystère par ces deux officiers en civil et surtout pour qu'il se sente en pleine sécurité. Il m'est venu subitement une réflexion singulière: ce visiteur, qui a tant intérêt à ce que personne au monde ne puisse soup?onner sa présence sous mon toit, ne serait-ce pas le fameux commandant en chef du 13e corps, le général Boulanger lui-même?
Je me suis dit aussit?t que c'était impossible, puisque les arrêts de rigueur ont transformé sa résidence de Clermont en une prison dont il lui est interdit de sortir avant le mois prochain. Mais, j'ai beau me répéter encore que cela n'est pas, il y a une idée fixe qui me hante en m'affirmant le contraire.
Décidément, la boulangite me tourne la tête! Elle me fait voir du Boulanger un peu partout.
Du moins, mon idée fixe ne sera-t-elle pas pour faire du tort au couple attendu demain. Dans l'incertitude, je soigne l'installation de leur logement comme je ne l'ai jamais fait de ma vie. à défaut des dorures de nos grands h?tels de Royat, je veux qu'ils trouvent chez moi un nid tout plein de ga?té, de lumière et de fleurs.
J'ai levé, dès ce matin, une grosse difficulté qui m'inquiétait un peu. J'ai fait comprendre à ma
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