cheval demain, sir Tobie.
SIR TOBIE.--Pourquoi, mon cher chevalier?
SIR ANDRÉ.--Que signifie pourquoi[13]? Le faire ou ne le pas faire?
Je voudrais avoir employé à apprendre les langues le temps que j'ai mis
à l'escrime, à la danse, à la chasse à l'ours.--Oh! si j'avais suivi les
beaux-arts!
[Note 13: Pourquoi, en français dans le texte.]
SIR TOBIE.--Oh! vous auriez eu une superbe chevelure.
SIR ANDRÉ.--Quoi, cela aurait-il amendé mes cheveux?
SIR TOBIE.--Sans contredit, car vous voyez qu'ils ne frisent pas
naturellement.
SIR ANDRÉ.--Mais cela me sied assez bien, n'est-il pas vrai?
SIR TOBIE.--A merveille. Ils pendent droit comme le lin sur une
quenouille, et j'espère un jour voir une ménagère vous prendre entre ses
jambes et vous filer.
SIR ANDRÉ.--Ma foi, je retourne chez moi demain, sir Tobie. Votre
nièce ne veut pas se laisser voir, ou, si elle voit quelqu'un, il y a quatre
à parier contre un qu'elle ne voudra pas de moi. Le comte lui-même,
qui est ici tout près, lui fait la cour.
SIR TOBIE.--Elle ne veut point du comte. Elle ne veut point de mari
au-dessus d'elle, ni en fortune, ni en âge, ni en esprit. Je lui en ai
entendu faire le serment. Hem! il y a de la résolution là-dedans, ami!
SIR ANDRÉ.--Je veux rester un mois de plus. Je suis l'homme du
monde qui a les idées les plus drôles: j'aime extrêmement les
mascarades et les bals tout à la fois.
SIR TOBIE.--Êtes-vous bon pour ces balivernes, chevalier?
SIR ANDRÉ.--Autant qu'homme en Illyrie, quel qu'il soit, au-dessous
du rang de mes supérieurs....; et cependant je ne veux pas me comparer
à un vieillard.
SIR TOBIE.--Quel est votre talent pour une _gaillarde_[14], chevalier?
[Note 14: Espèce de danse.]
SIR ANDRÉ.--Hé! je suis en état de faire une cabriole[15].
[Note 15: Caper, cabriole, capre.]
SIR TOBIE.--Et moi je sais découper le mouton.
SIR ANDRÉ.--Et je me flatte d'avoir le saut en arrière aussi vigoureux
qu'aucun homme de l'Illyrie.
SIR TOBIE.--Pourquoi donc cacher ces talents? Pourquoi tenir ces
dons derrière le rideau? Craignez-vous qu'ils prennent la poussière
comme le portrait de madame Mall[16]? Que n'allez-vous à l'église en
dansant une gaillarde, pour revenir chez vous en dansant une
_courante_? Je ne marcherais plus qu'au pas d'une _gigue_; je ne
voudrais même uriner que sur un pas de cinq[17]. Que prétendez-vous?
Le monde est-il fait pour qu'on enfouisse ses talents? Je croyais bien, à
voir la merveilleuse constitution de votre jambe, que vous aviez été
formé sous l'étoile d'une gaillarde.
[Note 16: Mall, surnommée Coupe-Bourse, femme fameuse dans les
annales des lieux de prostitution.]
[Note 17: _A cinque-pace._]
SIR ANDRÉ.--Oui, elle est fortement constituée, et elle a assez bonne
grâce avec un bas de couleur de flamme. Irons-nous à quelques
divertissements?
SIR TOBIE.--Que ferons-nous de mieux? Ne sommes-nous pas nés
sous le Taureau?
SIR ANDRÉ.--Le taureau? c'est-à-dire, les flancs et le coeur[18].
[Note 18: Allusion à l'astrologie médicale, qui rapporte les différentes
affections des parties du corps à l'influence dominante de certaines
constellations.]
SIR TOBIE.--Non, monsieur, ce sont les jambes et les cuisses. Que je
vous voie faire la cabriole. Ah! plus haut: ah! ah! à merveille.
(Ils sortent.)
SCÈNE IV
Appartement du palais du duc.
VALENTIN ET VIOLA en habit de page VALENTIN.--Si le duc vous
continue ses faveurs, vraiment, Césario, vous avez bien l'air de faire
une grande fortune: il n'y a encore que trois jours qu'il vous connaît, et
vous n'êtes déjà plus un étranger.
VIOLA.--Vous craignez donc ou l'inconstance de son humeur, ou ma
négligence, pour mettre ainsi en doute la durée de son affection? Est-il
inconstant, monsieur, dans ses goûts?
VALENTIN.--Non, croyez-moi.
(Entrent le duc et Curio; suite.)
VIOLA, _à Valentin_.--Je vous remercie.--Voici le comte qui vient.
LE DUC.--Qui de vous a vu Césario?
VIOLA.--Il est à votre suite, seigneur: me voici.
LE DUC, aux autres.--Retirez-vous un moment à l'écart.--Césario, tu es
instruit de tout; je t'ai ouvert le livre secret de mon coeur. Ainsi, bon
jeune homme, dirige tes pas vers elle. Ne te laisse pas interdire l'entrée:
poste-toi à ses portes, et dis-leur que ton pied y prendra racine jusqu'à
ce que tu obtiennes une audience.
VIOLA.--Sûrement, mon noble duc, si elle est aussi abandonnée à son
chagrin qu'on le dit, jamais elle ne voudra me recevoir.
LE DUC.--Fais du bruit, brave toutes les bienséances, plutôt que de
revenir sans succès.
VIOLA.--Admettez que je puisse lui parler, seigneur; que lui dirai-je
alors?
LE DUC.--Ah! dévoile-lui toute la violence de mon amour; étonne-la
du récit de ma tendresse. Il te siéra bien de lui représenter mes
souffrances; elle l'écoutera avec plus d'intérêt dans la bouche de ta
jeunesse, qu'elle ne ferait dans celle d'un député plus grave.
VIOLA.--Je ne le pense pas, seigneur.
LE DUC.--Crois-le, cher enfant, car c'est mentir à tes belles années,
que de dire que tu es
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