d'Olivia.
SIR TOBIE et MARIE.
SIR TOBIE.--Que diable prétend ma nièce en prenant si fort à coeur la
mort de son frère? Je suis sûr, moi, que le chagrin est ennemi de la vie.
MARIE.--Sur ma parole, sir Tobie, il faut que vous veniez de meilleure
heure le soir. Madame votre nièce a de grandes objections[5] à vos
heures indues.
SIR TOBIE.--Eh bien! qu'elle excipe avant d'être excipée[6].
[Note 5: En anglais exceptions, d'où la réponse de sir Tobie.]
[Note 6: _Let her except before excepted._]
MARIE.--Fort bien; mais il faut vous confiner dans les modestes
limites de l'ordre.
SIR TOBIE.--_Confiner_[7]! je ne me tiendrai pas plus finement que je
ne fais; ces habits sont assez bons pour boire et ces bottes aussi, ou
sinon qu'elles se pendent à leurs propres tirants.
[Note 7: To confine, jeu de mots sur confine et fine.]
MARIE.--Ces grandes rasades vous tueront: j'entendais madame en
parler encore hier, ainsi que de cet imbécile chevalier que vous avez
amené un soir ici pour lui faire la cour.
SIR TOBIE.--Quoi? sir André Ague-cheek?
MARIE.--Oui, lui-même.
SIR TOBIE.--C'est un homme des plus braves qu'il y ait en Illyrie.
MARIE.--Et qu'importe à la chose?
SIR TOBIE.--Comment! il a trois mille ducats de rente.
MARIE.--Oui! mais il ne fera qu'une année de tous ses ducats: c'est un
vrai fou, un prodigue.
SIR TOBIE.--Fi! n'avez-vous pas honte de dire cela? Il joue de la viole
de Gambo[8], il parle trois ou quatre langues, mot à mot, sans livre, et
il possède les meilleurs dons de nature.
[Note 8: Instrument qu'on tenait entre les jambes.]
MARIE.--Oh! oui, certes, il les possède au naturel; car, outre que c'est
un sot, c'est un grand querelleur; et si ce n'est qu'il a le don d'un lâche
pour apaiser la fougue qui l'emporte dans une querelle, c'est l'opinion
des gens sensés qu'on lui ferait bientôt le don d'un tombeau.
SIR TOBIE.--Par cette main, ce sont des bélîtres, des détracteurs, que
ceux qui tiennent de lui ces propos.--Qui sont-ils?
MARIE.--Ce sont des gens qui ajoutent encore qu'il est ivre toutes les
nuits en votre compagnie.
SIR TOBIE.--A force de porter des santés à ma nièce: je boirai à sa
santé aussi longtemps qu'il y aura un passage dans mon gosier, et du
vin en Illyrie. C'est un lâche et un poltron[9] que celui qui ne veut pas
boire à ma nièce, jusqu'à ce que la cervelle lui tourne comme un sabot
de village. Allons, fille, _castiliano vulgo_[10]: voici sir André
Ague-face.
[Note 9: Coystril, un coq peureux.]
[Note 10: Castiliano vulgo, à l'espagnole.]
(Entre sir André Ague-cheek.)
SIR ANDRÉ.--Ah! sir Tobie Belch! Comment vous va, sir Tobie
Belch?
SIR TOBIE.--Ah! mon cher sir André!
SIR ANDRÉ, _à Marie_.--Salut, jolie grondeuse.
MARIE.--Salut, monsieur.
SIR TOBIE.--Accoste, sir André, accoste.
SIR ANDRÉ.--Qu'est-ce que c'est?
SIR TOBIE.--La femme de chambre de ma nièce.
SIR ANDRÉ.--Belle madame Accoste, je désire faire connaissance
avec vous.
MARIE.--Mon nom est Marie, monsieur.
SIR ANDRÉ.--Belle madame Marie Accoste....
SIR TOBIE.--Vous vous méprenez, chevalier. Quand je dis accoste, je
veux dire envisagez-la, abordez-la, faites-lui votre cour, attaquez-la.
SIR ANDRÉ.--Sur ma foi, je ne voudrais pas l'attaquer ainsi en
compagnie. Est-ce là le sens du mot _accoste_?
MARIE.--Portez-vous bien, messieurs.
SIR TOBIE.--Si tu la laisses partir ainsi, sir André, puisses-tu ne jamais
tirer l'épée!
SIR ANDRÉ.--Si vous partez ainsi, mademoiselle, je ne veux jamais
tirer l'épée. Belle dame, croyez-vous avoir des sots sous la main?
MARIE.--Monsieur, je ne vous ai pas sous la main.
SIR ANDRÉ.--Par ma foi, vous allez l'avoir tout à l'heure, car voici ma
main.
MARIE.--Maintenant, monsieur, la pensée est libre. Je vous prie de
porter votre main à la baratte au beurre, et laissez-la boire.
SIR ANDRÉ.--Pourquoi, mon cher coeur? quelle est votre métaphore?
MARIE.--Elle est sèche, monsieur[11].
[Note 11: Peut-être pour dire: elle est vide; ou bien, d'après la
chiromancie, une main sèche signifie ici une constitution froide.]
SIR ANDRÉ.--Comment donc! je le crois bien; je ne suis pas assez âne
pour ne pas tenir ma main sèche. Mais que signifie votre plaisanterie?
MARIE.--C'est une plaisanterie toute sèche, monsieur.
SIR ANDRÉ.--En avez-vous beaucoup de semblables?
MARIE.--Oui, monsieur, je les ai au bout de mes doigts: allons, je
laisse aller votre main, je suis desséchée[12].
(Marie sort.)
[Note 12: _I am barren._]
SIR TOBIE.--Chevalier, tu as besoin d'une coupe de vin des Canaries;
je ne t'ai jamais vu si bien terrassé.
SIR ANDRÉ.--Jamais de votre vie, je pense, à moins que vous ne me
voyez terrassé par le canarie. Il me semble qu'il y a des jours où je n'ai
pas plus d'esprit qu'un chrétien ou qu'un homme ordinaire. Mais je suis
un grand mangeur de boeuf, et je crois que cela fait tort à mon esprit.
SIR TOBIE.--Il n'y a pas de doute.
SIR ANDRÉ.--Si je le croyais, je m'en abstiendrais.--Je retourne chez
moi à
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