Le Horla | Page 7

Guy de Maupassant
roses demeur��es �� la branche.
Alors, je rentrai chez moi l'ame boulevers��e; car je suis certain, maintenant, certain comme de l'alternance des jours et des nuits, qu'il existe pr��s de moi un ��tre invisible, qui se nourrit de lait et d'eau, qui peut toucher aux choses, les prendre et les changer de place, dou�� par cons��quent d'une nature mat��rielle, bien qu'imperceptible pour nos sens, et qui habite comme moi, sous mon toit...
7 ao?t.--J'ai dormi tranquille. Il a bu l'eau de ma carafe, mais n'a point troubl�� mon sommeil.
Je me demande si je suis fou. En me promenant, tant?t au grand soleil, le long de la rivi��re, des doutes me sont venus sur ma raison, non point des doutes vagues comme j'en avais jusqu'ici, mais des doutes pr��cis, absolus. J'ai vu des fous; j'en ai connu qui restaient intelligents, lucides, clairvoyants m��me sur toutes les choses de la vie, sauf sur un point. Ils parlaient de tout avec clart��, avec souplesse, avec profondeur, et soudain leur pens��e touchant l'��cueil de leur folie, s'y d��chirait en pi��ces, s'��parpillait et sombrait dans cet oc��an effrayant et furieux, plein de vagues bondissantes, de brouillards, de bourrasques, qu'on nomme ?la d��mence?.
Certes, je me croirais fou, absolument fou, si je n'��tais conscient, si je ne connaissais parfaitement mon ��tat, si je ne le sondais en l'analysant avec une compl��te lucidit��. Je ne serais donc, en somme, qu'un hallucin�� raisonnant. Un trouble inconnu se serait produit dans mon cerveau, un de ces troubles qu'essayent de noter et de pr��ciser aujourd'hui les physiologistes; et ce trouble aurait d��termin�� dans mon esprit, dans l'ordre et la logique de mes id��es, une crevasse profonde. Des ph��nom��nes semblables ont lieu dans le r��ve qui nous prom��ne �� travers les fantasmagories les plus invraisemblables, sans que nous en soyions surpris, parce que l'appareil v��rificateur, parce que le sens du contr?le est endormi; tandis que la facult�� imaginative veille et travaille. Ne se peut-il pas qu'une des imperceptibles touches du clavier c��r��bral se trouve paralys��e chez moi? Des hommes, �� la suite d'accidents, perdent la m��moire des noms propres ou des verbes ou des chiffres, ou seulement des dates. Les localisations de toutes les parcelles de la pens��e sont aujourd'hui prouv��es. Or, quoi d'��tonnant �� ce que ma facult�� de contr?ler l'irr��alit�� de certaines hallucinations, se trouve engourdie chez moi en moment!
Je songeais �� tout cela en suivant le bord de l'eau. Le soleil couvrait de clart�� la rivi��re, faisait la terre d��licieuse, emplissait mon regard d'amour pour la vie, pour les hirondelles, dont l'agilit�� est une joie de mes yeux, pour les herbes de la rive, dont le fr��missement est un bonheur de mes oreilles.
Peu �� peu, cependant un malaise inexplicable me p��n��trait. Une force, me semblait-il, une force occulte m'engourdissait, m'arr��tait, m'emp��chait d'aller plus loin, me rappelait en arri��re. J'��prouvais ce besoin douloureux de rentrer qui vous oppresse, quand on a laiss�� au logis un malade aim��, et que le pressentiment vous saisit d'une aggravation de son mal.
Donc, je revins malgr�� moi, s?r que j'allais trouver, dans ma maison, une mauvaise nouvelle, une lettre ou une d��p��che. Il n'y avait rien; et je demeurai plus surpris et plus inquiet que si j'avais eu de nouveau quelque vision fantastique.
8 ao?t.--J'ai pass�� hier une affreuse soir��e. Il ne se manifeste plus, mais je le sens pr��s de moi, m'��piant, me regardant, me p��n��trant, me dominant et plus redoutable, en se cachant ainsi, que s'il signalait par des ph��nom��nes surnaturels sa pr��sence invisible et constante.
J'ai dormi, pourtant.
9 ao?t.--Rien, mais j'ai peur.
10 ao?t.--Rien; qu'arrivera-t-il demain?
11 ao?t.--Toujours rien; je ne puis plus rester chez moi avec cette crainte et cette pens��e entr��es en mon ame; je vais partir.
12 ao?t, 10 heures du soir.--Tout le jour j'ai voulu m'en aller; je n'ai pas pu. J'ai voulu accomplir cet acte de libert�� si facile, si simple,--sortir--monter dans ma voiture pour gagner Rouen--je n'ai pas pu. Pourquoi?
13 ao?t.--Quand on est atteint par certaines maladies, tous les ressorts de l'��tre physique semblent bris��s, toutes les ��nergies an��anties, tous les muscles relach��s, les os devenus mous comme la chair et la chair liquide comme de l'eau. J'��prouve cela dans mon ��tre moral d'une fa?on ��trange et d��solante. Je n'ai plus aucune force, aucun courage, aucune domination sur moi, aucun pouvoir m��me de mettre en mouvement ma volont��. Je ne peux plus vouloir; mais quelqu'un veut pour moi; et j'ob��is.
14 ao?t.--Je suis perdu! Quelqu'un poss��de mon ame et la gouverne! quelqu'un ordonne tous mes actes, tous mes mouvements, toutes mes pens��es. Je ne suis plus rien en moi, rien qu'un spectateur esclave et terrifi�� de toutes les choses que j'accomplis. Je d��sire sortir. Je ne peux pas. Il ne veut pas; et je reste, ��perdu, tremblant, dans le fauteuil o�� il me tient assis. Je d��sire seulement me lever, me soulever, afin de
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