Le Horla | Page 8

Guy de Maupassant
me croire encore ma?tre de moi. Je ne peux pas! Je suis riv�� �� mon si��ge; et mon si��ge adh��re au sol, de telle sorte qu'aucune force ne nous soul��verait.
Puis, tout d'un coup, il faut, il faut, il faut que j'aille au fond de mon jardin cueillir des fraises et les manger. Et j'y vais. Je cueille des fraises et je les mange! Oh! mon Dieu! Mon Dieu! Mon Dieu! Est-il un Dieu? S'il en est un, d��livrez-moi, sauvez-moi! secourez-moi! Pardon! Piti��! Grace! Sauvez-moi! Oh! quelle souffrance! quelle torture! quelle horreur!
15 ao?t.--Certes, voil�� comment ��tait poss��d��e et domin��e ma pauvre cousine, quand elle est venue m'emprunter cinq mille francs. Elle subissait un vouloir ��tranger entr�� en elle, comme une autre ame, comme une autre ame parasite et dominatrice. Est-ce que le monde va finir?
Mais celui qui me gouverne, quel est-il, cet invisible? cet inconnaissable, ce r?deur d'une race surnaturelle?
Donc les Invisibles existent! Alors, comment depuis l'origine du monde ne se sont-ils pas encore manifest��s d'une fa?on pr��cise comme ils le font pour moi? Je n'ai jamais rien lu qui ressemble �� ce qui s'est pass�� dans ma demeure. Oh! si je pouvais la quitter, si je pouvais m'en aller, fuir et ne pas revenir. Je serais sauv��, mais je ne peux pas.
16 ao?t.--J'ai pu m'��chapper aujourd'hui pendant deux heures, comme un prisonnier qui trouve ouverte, par hasard, la porte de son cachot. J'ai senti que j'��tais libre tout �� coup et qu'il ��tait loin. J'ai ordonn�� d'atteler bien vite et j'ai gagn�� Rouen. Oh! quelle joie de pouvoir dire �� un homme qui ob��it: ?Allez �� Rouen!?
Je me suis fait arr��ter devant la biblioth��que et j'ai pri�� qu'on me pr��tat le grand trait�� du docteur Hermann Herestauss sur les habitants inconnus du monde antique et moderne.
Puis, au moment de remonter dans mon coup��, j'ai voulu dire: ?A la gare!? et j'ai cri��,--je n'ai pas dit, j'ai cri��--d'une voix si forte que les passants se sont retourn��s: ?A la maison?, et je suis tomb��, affol�� d'angoisse, sur le coussin de ma voiture. Il m'avait retrouv�� et repris.
17 ao?t.--Ah! Quelle nuit! quelle nuit! Et pourtant il me semble que je devrais me r��jouir. Jusqu'�� une heure du matin, j'ai lu! Hermann Herestauss, docteur en philosophie et en th��ogonie, a ��crit l'histoire et les manifestations de tous les ��tres invisibles r?dant autour de l'homme ou r��v��s par lui. Il d��crit leurs origines, leur domaine, leur puissance. Mais aucun d'eux ne ressemble �� celui qui me hante. On dirait que l'homme, depuis qu'il pense, a pressenti et redout�� un ��tre nouveau, plus fort que lui, son successeur en ce monde, et que, le sentant proche et ne pouvant pr��voir la nature de ce ma?tre, il a cr����, dans sa terreur, tout le peuple fantastique des ��tres occultes, fant?mes vagues n��s de la peur.
Donc, ayant lu jusqu'�� une heure du matin, j'ai ��t�� m'asseoir ensuite aupr��s de ma fen��tre ouverte pour rafra?chir mon front et ma pens��e au vent calme de l'obscurit��.
Il faisait bon, il faisait ti��de! Comme j'aurais aim�� cette nuit-l�� autrefois!
Pas de lune. Les ��toiles avaient au fond du ciel noir des scintillements fr��missants. Qui habite ces mondes? Quelles formes, quels vivants, quels animaux, quelles plantes sont l��-bas? Ceux qui pensent dans ces univers lointains, que savent-ils plus que nous? Que peuvent-ils plus que nous? Que voient-ils que nous ne connaissons point? Un d'eux, un jour ou l'autre, traversant l'espace, n'appara?tra-t-il pas sur notre terre pour la conqu��rir, comme les Normands jadis traversaient la mer pour asservir des peuples plus faibles.
Nous sommes si infirmes, si d��sarm��s, si ignorants, si petits, nous autres, sur ce grain de boue qui tourne d��lay�� dans une goutte d'eau.
Je m'assoupis en r��vant ainsi au vent frais du soir.
Or, ayant dormi environ quarante minutes, je rouvris les yeux sans faire un mouvement, r��veill�� par je ne sais quelle ��motion confuse et bizarre. Je ne vis rien d'abord, puis, tout �� coup, il me sembla qu'une page du livre rest�� ouvert sur ma table venait de tourner toute seule. Aucun souffle d'air n'��tait entr�� par ma fen��tre. Je fus surpris et j'attendis. Au bout de quatre minutes environ, je vis, je vis, oui, je vis de mes yeux une autre page se soulever et se rabattre sur la pr��c��dente, comme si un doigt l'e?t feuillet��e. Mon fauteuil ��tait vide, semblait vide; mais je compris qu'il ��tait l��, lui, assis �� ma place, et qu'il lisait. D'un bond furieux, d'un bond de b��te r��volt��e, qui va ��ventrer son dompteur, je traversai ma chambre pour le saisir, pour l'��treindre, pour le tuer!... Mais mon si��ge, avant que je l'eusse atteint, se renversa comme si on e?t fui devant moi... ma table oscilla, ma lampe tomba et s'��teignit, et ma fen��tre se ferma comme si un malfaiteur surpris se f?t ��lanc�� dans la
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