Le Docteur Pascal | Page 6

Emile Zola
jouissance et d'orgueil qui avait empli sa vie. Mais elle recommen?ait sa promenade, lorsqu'elle eut un saisissement, en apercevant soudain, par terre, le num��ro du Temps, que le docteur avait jet��, apr��s y avoir d��coup�� l'article, pour le joindre au dossier de Saccard; et la vue de la fen��tre, ouverte au milieu de de la feuille, la renseigna sans doute, car, du coup, elle ne marcha plus, elle se laissa tomber sur une chaise, comme si elle savait enfin ce qu'elle ��tait venue apprendre.
--Ton p��re a ��t�� nomm�� directeur de l'��poque, reprit-elle brusquement.
--Oui, dit Clotilde avec tranquillit��, ma?tre me l'a dit, c'��tait dans le journal.
D'un air attentif et inquiet, F��licit�� la regardait, car cette nomination de Saccard, ce ralliement �� la R��publique, ��tait une chose ��norme. Apr��s la chute de l'empire, il avait os�� rentrer en France, malgr�� sa condamnation comme Directeur de la Banque Universelle, dont l'effondrement colossal avait pr��c��d�� celui du r��gime. Des influences nouvelles, toute une intrigue extraordinaire devait l'avoir remis sur pied. Non seulement il avait eu sa grace, mais encore il ��tait une fois de plus en train de brasser des affaires consid��rables, lanc�� dans le grand journalisme, retrouvant sa part dans tous les pots-de-vin. Et le souvenir s'��voquait des brouilles de jadis, entre lui et son fr��re Eug��ne Rougon, qu'il avait compromis si souvent, et que, par un retour ironique des choses, il allait peut-��tre prot��ger, maintenant que l'ancien ministre de l'empire n'��tait plus qu'un simple d��put��, r��sign�� au seul r?le de d��fendre son ma?tre d��chu, avec l'ent��tement que sa m��re mettait �� d��fendre sa famille. Elle ob��issait encore docilement aux ordres de son fils a?n��, l'aigle, m��me foudroy��; mais Saccard, quoi qu'il fit, lui tenait aussi au coeur, par son indomptable besoin du succ��s; et elle ��tait en outre fi��re de Maxime, le fr��re de Clotilde, qui s'��tait r��install��, apr��s la guerre, dans son h?tel de l'avenue du Bois-de-Boulogne, o�� il mangeait la fortune que lui avait laiss��e sa femme, devenu prudent, d'une sagesse d'homme atteint dans ses moelles, rusant avec la paralysie mena?ante.
--Directeur de l'��poque, r��p��ta-t-elle, c'est une vraie situation de ministre que ton p��re a conquise.... Et j'oubliais de te dire, j'ai encore ��crit �� ton fr��re, pour le d��terminer �� venir nous voir. Cela le distrairait, lui ferait du bien. Puis, il y a cet enfant, ce pauvre Charles....
Elle n'insista pas, c'��tait l�� une autre des plaies dont saignait son orgueil: un fils que Maxime avait eu, �� dix-sept ans, d'une servante, et qui, maintenant, ag�� d'une quinzaine d'ann��es, de t��te faible, vivait �� Plassans, passant de l'un chez l'autre, �� la charge de tous.
Un instant encore, elle attendit, esp��rant une r��flexion de Clotilde, une transition qui lui permettrait d'arriver o�� elle voulait en venir. Lorsqu'elle vit que la jeune fille se d��sint��ressait, occup��e �� ranger des papiers sur son pupitre, elle se d��cida, apr��s avoir jet�� un coup d'oeil sur Martine, qui continuait �� raccommoder le fauteuil, comme muette et sourde.
--Alors, ton oncle a d��coup�� l'article du Temps?
Tr��s calme, Clotilde souriait.
--Oui, ma?tre l'a mis dans les dossiers. Ah! ce qu'il enterre de notes, l�� dedans! Les naissances, les morts, les moindres incidents de la vie, tout y passe. Et il y a aussi l'Arbre g��n��alogique, tu sais bien, notre fameux Arbre g��n��alogique, qu'il tient au courant!
Les yeux de la vieille madame Rougon avaient flamb��. Elle regardait fixement la jeune fille.
--Tu les connais, ces dossiers?
--Oh! non, grand'm��re! Jamais ma?tre ne m'en parle, et il me d��fend de les toucher.
Mais elle ne la croyait pas.
--Voyons! tu les as sous la main, tu as d? les lire.
Tr��s simple, avec sa tranquille droiture, Clotilde r��pondit, en souriant de nouveau.
--Non! quand ma?tre me d��fend une chose, c'est qu'il a ses raisons, et je ne la fais pas.
--Eh bien! mon enfant, s'��cria violemment F��licit��, c��dant �� sa passion, toi que Pascal aime bien, et qu'il ��couterait peut-��tre, tu devrais le supplier de br?ler tout ?a, car, s'il venait �� mourir et qu'on trouvat les affreuses choses qu'il y a l�� dedans, nous serions tous d��shonor��s!
Ah! ces dossiers abominables, elle les voyait, la nuit, dans ses cauchemars, ��taler en lettres de feu les histoires vraies, les tares physiologiques de la famille, tout cet envers de sa gloire qu'elle aurait voulu �� jamais enfouir, avec les anc��tres d��j�� morts! Elle savait comment le docteur avait eu l'id��e de r��unir ces documents, d��s le d��but de ses grandes ��tudes sur l'h��r��dit��, comment il s'��tait trouv�� conduit �� prendre sa propre famille en exemple, frapp�� des cas typiques qu'il y constatait et qui venaient �� l'appui des lois d��couvertes par lui. N'��tait-ce pas un champ tout naturel d'observation, �� port��e de sa main, qu'il connaissait �� fond? Et, avec une belle carrure insoucieuse de savant, il accumulait sur les siens, depuis trente ann��es, les renseignements les plus intimes, recueillant
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