Le Docteur Pascal | Page 4

Emile Zola
gagna sa chambre, o�� il avait install�� une sorte de laboratoire, et il s'y enferma. La d��fense d'y entrer ��tait formelle. C'��tait l�� qu'il se livrait �� des pr��parations sp��ciales, dont il ne parlait �� personne. Presque tout de suite, on entendit le bruit r��gulier et lent d'un pilon dans un mortier.
--Allons, dit Clotilde en souriant, le voil�� �� sa cuisine du diable, comme dit grand'm��re.
Et elle se remit pos��ment �� copier la tige de roses tr��mi��res. Elle en serrait le dessin avec une pr��cision math��matique, elle trouvait le ton juste des p��tales violets, z��br��s de jaune, jusque dans la d��coloration la plus d��licate des nuances.
--Ah! murmura au bout d'un moment Martine, de nouveau par terre, en train de raccommoder le fauteuil, quel malheur qu'un saint homme pareil perde son ame �� plaisir!... Car, il n'y a pas �� dire, voici trente ans que je le connais, et jamais il n'a fait seulement de la peine �� personne. Un vrai coeur d'or, qui s'?terait les morceaux de la bouche.... Et gentil avec ?a, et toujours bien portant, et toujours gai, une vraie b��n��diction!... C'est un meurtre qu'il ne veuille pas faire sa paix avec le bon Dieu. N'est-ce pas? mademoiselle, il faudra le forcer.
Clotilde, surprise de lui en entendre dire si long �� la fois, donna sa parole, l'air grave.
--Certainement, Martine, c'est jur��. Nous le forcerons.
Le silence recommen?ait, lorsqu'on entendit le tintement de la sonnette fix��e, en bas, �� la porte d'entr��e. On l'avait mise l��, afin d'��tre averti, dans cette maison trop vaste pour les trois personnes qui l'habitaient. La servante sembla ��tonn��e et grommela des paroles sourdes: qui pouvait venir par une chaleur pareille? Elle s'��tait lev��e, elle ouvrit la porte, se pencha au-dessus de la rampe, puis reparut en disant:
--C'est madame F��licit��.
Vivement, la vieille madame Rougon entra. Malgr�� ses quatre-vingts ans, elle venait de monter l'escalier avec une l��g��ret�� de jeune fille; et elle restait la cigale brune, maigre et stridente d'autrefois. Tr��s ��l��gante maintenant, v��tue de soie noire, elle pouvait encore ��tre prise, par derri��re, grace �� la finesse de sa taille, pour quelque amoureuse, quelque ambitieuse courant �� sa passion. De face, dons son visage s��ch��, ses yeux gardaient leur flamme, et elle souriait d'un joli sourire, quand elle le voulait bien.
--Comment, c'est toi, grand'm��re! s'��cria Clotilde, en marchant �� sa rencontre. Mais il y a de quoi ��tre cuit, par ce terrible soleil!
F��licit��, qui la baisait au front, se mit �� rire.
--Oh! le soleil, c'est mon ami!
Puis, trottant �� petits pas rapides, elle alla tourner l'espagnolette d'un des volets.
--Ouvrez donc un peu! c'est trop triste, de vivre ainsi dans le noir.... Chez moi, je laisse le soleil entrer.
Par l'entre-baillement, un jet d'ardente lumi��re, un flot de braises dansantes p��n��tra. Et l'on aper?ut, sous le ciel d'un bleu violatre d'incendie, la vaste campagne br?l��e, comme endormie et morte dans cet an��antissement de fournaise; tandis que, sur la droite, au-dessus des toitures roses, se dressait le clocher de Saint-Saturnin, une tour dor��e, aux ar��tes d'os blanchis, dans l'aveuglante clart��.
--Oui, continuait F��licit��, j'irai sans doute tout �� l'heure aux Tulettes, et je voulais savoir si vous aviez Charles, afin de l'y mener avec moi.... Il n'est pas ici, je vois ?a. Ce sera pour un autre jour.
Mais, tandis qu'elle donnait ce pr��texte �� sa visite, ses yeux fureteurs faisaient le tour de la pi��ce. D'ailleurs, elle n'insista pas, parla tout de suite de son fils Pascal, en entendant le bruit rythmique du pilon qui n'avait pas cess�� dans la chambre voisine.
--Ah! il est encore �� sa cuisine du diable!... Ne le d��rangez pas, je n'ai rien �� lui dire.
Martine, qui s'��tait remise �� son fauteuil, hocha la t��te, pour d��clarer qu'elle n'avait nulle envie de d��ranger son ma?tre; et il y eut un nouveau silence, tandis que Clotilde essuyait �� un linge ses doigts tach��s de pastel, et que F��licit�� reprenait sa marche de petits pas, d'un air d'enqu��te.
Depuis bient?t deux ans, la vieille madame Rougon ��tait veuve. Son mari, devenu si gros, qu'il ne se remuait plus, avait succomb��, ��touff�� par une indigestion, le 3 septembre 1870, dans la nuit du jour o�� il avait appris la catastrophe de Sedan. L'��croulement du r��gime, dont il se flattait d'��tre un des fondateurs, semblait l'avoir foudroy��. Aussi F��licit�� affectait-elle de ne plus s'occuper de politique, vivant d��sormais comme une reine retir��e du tr?ne. Personne n'ignorait que les Rougon, en 1851, avaient sauv�� Plassans de l'anarchie, en y faisant triompher le coup d'��tat du 2 d��cembre, et que, quelques ann��es plus tard, ils l'avaient conquis de nouveau, sur les candidats l��gitimistes et r��publicains, pour le donner �� un d��put�� bonapartiste. Jusqu'�� la guerre, l'empire y ��tait rest�� tout-puissant, si acclam��, qu'il y avait obtenu, au pl��biscite, une majorit�� ��crasante. Mais, depuis les d��sastres, la ville devenait r��publicaine, le quartier
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 145
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.