Le Docteur Pascal | Page 2

Emile Zola
ancien papier de salon empire, �� rosaces, se trouvaient clou��s des pastels de fleurs, aux colorations ��tranges, qu'on distinguait mal. Les boiseries des trois portes, �� double battant, celle de l'entr��e, sur le palier, et les deux autres, celle de la chambre du docteur et celle de la chambre de la jeune fille, aux deux extr��mit��s de la pi��ce, dataient de Louis XV, ainsi que la corniche du plafond enfum��.
Une heure se passa, sans un bruit, sans un souffle. Puis, comme Pascal, par distraction �� son travail, venait de rompre la bande d'un journal oubli�� sur sa table, le Temps, il eut une l��g��re exclamation.
--Tiens! ton p��re qui est nomm�� directeur de l'��poque, le journal r��publicain �� grand succ��s, o�� l'on publie les papiers des Tuileries!
Cette nouvelle devait ��tre pour lui inattendue, car il riait d'un bon rire, �� la fois satisfait et attrist��; et, �� demi voix, il continuait:
--Ma parole! on inventerait les choses, qu'elles seraient moins belles.... La vie est extraordinaire.... Il y a l�� un article tr��s int��ressant.
Clotilde n'avait pas r��pondu, comme �� cent lieues de ce que disait son oncle. Et il ne parla plus, il prit des ciseaux, apr��s avoir lu l'article, le d��coupa, le colla sur une feuille de papier, o�� il l'annota de sa grosse ��criture irr��guli��re. Puis, il revint vers l'armoire, pour y classer cette note nouvelle. Mais il dut prendre une chaise, la planche du haut ��tant si haute qu'il ne pouvait l'atteindre, malgr�� sa grande taille.
Sur cette planche ��lev��e, toute une s��rie d'��normes dossiers s'alignaient en bon ordre, class��s m��thodiquement. C'��taient des documents divers, feuilles manuscrites, pi��ces sur papier timbr��, articles de journaux d��coup��s, r��unis dans des chemises de fort papier bleu, qui chacune portait un nom ��crit en gros caract��res. On sentait ces documents tenus �� jour avec tendresse, repris sans cesse et remis soigneusement en place; car, de toute l'armoire, ce coin-l�� seul ��tait en ordre.
Lorsque Pascal, mont�� sur la chaise, eut trouv�� le dossier qu'il cherchait, une des chemises les plus bourr��es, o�� ��tait inscrit le nom de ?Saccard?, il y ajouta la note nouvelle, puis repla?a le tout �� sa lettre alphab��tique. Un instant encore, il s'oublia, redressa complaisamment une pile qui s'effondrait. Et, comme il sautait enfin de la chaise:
--Tu entends? Clotilde, quand tu rangeras, ne touche pas aux dossiers, l��-haut.
--Bien, ma?tre! r��pondit-elle pour la troisi��me fois, docilement.
Il s'��tait remis �� rire, de son air de gaiet�� naturelle.
--C'est d��fendu.
--Je le sais, ma?tre!
Et il referma l'armoire d'un vigoureux tour de clef, puis il jeta la clef au fond d'un tiroir de sa table de travail. La jeune fille ��tait assez au courant de ses recherches pour mettre un peu d'ordre dans ses manuscrits; et il l'employait volontiers aussi �� titre de secr��taire, il lui faisait recopier ses notes, lorsqu'un confr��re et un ami, comme le docteur Ramond, lui demandait la communication d'un document. Mais elle n'��tait point une savante, il lui d��fendait simplement de lire ce qu'il jugeait inutile qu'elle conn?t.
Cependant, l'attention profonde o�� il la sentait absorb��e, finissait par le surprendre.
--Qu'as-tu donc �� ne plus desserrer les l��vres? La copie de ces fleurs te passionne �� ce point!
C'��tait encore l�� un des travaux qu'il lui confiait souvent, des dessins, des aquarelles, des pastels, qu'il joignait ensuite comme planches �� ses ouvrages. Ainsi, depuis cinq ans, il faisait des exp��riences tr��s curieuses sur une collection de roses tr��mi��res, toute une s��rie de nouvelles colorations, obtenues par des f��condations artificielles. Elle apportait, dans ces sortes de copies, une minutie, une exactitude de dessin et de couleur extraordinaire; �� ce point qu'il s'��merveillait toujours d'une telle honn��tet��, en lui disant qu'elle avait ?une bonne petite caboche ronde, nette et solide?.
Mais, cette fois, comme il s'approchait pour regarder par-dessus son ��paule, il eut un cri de comique fureur.
--Ah! va te faire fiche! te voil�� partie pour l'inconnu!... Veux-tu bien me d��chirer ?a tout de suite!
Elle s'��tait redress��e, le sang aux joues, les yeux flambants de la passion de son oeuvre, ses doigts minces tach��s de pastel, du rouge et du bleu qu'elle avait ��cras��s.
--Oh! ma?tre!
Et dans ce ?ma?tre?, si tendre, d'une soumission si caressante, ce terme de complet abandon dont elle l'appelait pour ne pas employer les mots d'oncle ou de parrain, qu'elle trouvait b��tes, passait pour la premi��re fois une flamme de r��volte, la revendication d'un ��tre qui se reprend et qui s'affirme.
Depuis pr��s de deux heures, elle avait repouss�� la copie exacte et sage des roses tr��mi��res, et elle venait de jeter, sur une autre feuille, toute une grappe de fleurs imaginaires, des fleurs de r��ve, extravagantes et superbes. C'��tait ainsi parfois, chez elle, des sautes brusques, un besoin de s'��chapper en fantaisies folles, au milieu de la plus pr��cise des reproductions. Tout de suite elle se satisfaisait, retombait toujours dans cette floraison extraordinaire, d'une fougue, d'une
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