je tins un moment conseil. On a voulu m'effrayer, dis-je; on veut voir si je suis pusillanime. Les gens qui m'éprouvent sont à deux pas d'ici, et à la suite de mon évocation je dois m'attendre à quelques tentatives de leur part pour m'épouvanter. Tenons bon; tournons la raillerie contre les mauvais plaisants.
Cette délibération fut assez courte, quoiqu'un peu troublée par le ramage des hiboux et des chats-huants qui habitaient les environs, et même l'intérieur de ma caverne.
Un peu rassuré par mes réflexions, je me rasseois sur mes reins; je me piète; je prononce l'évocation d'une voix claire et soutenue; et en grossissant le son, j'appelle à trois reprises et à très courts intervalles, Béelzébut.
Un frisson courait dans toutes mes veines, et mes cheveux se hérissaient sur la tête.
à peine avais-je fini, une fenêtre s'ouvre à deux battants, vis-à-vis de moi, au haut de la vo?te: un torrent de lumière plus éblouissante que celle du jour fond par cette ouverture: une tête de chameau horrible, autant par sa grosseur que par sa forme se présente à la fenêtre: surtout elle avait des oreilles démesurées. L'odieux fant?me ouvre la gueule, et, d'un ton assorti au reste de l'apparition, me répond: Che vuoi? Toutes les vo?tes, tous les caveaux des environs retentissent à l'envi du terrible Che vuoi?
Je ne saurais peindre ma situation; je ne saurais dire qui soutint mon courage et m'empêcha de tomber en défaillance à l'aspect de ce tableau, au bruit plus effrayant encore qui retentissait à mes oreilles.
Je sentis la nécessité de rappeler mes forces: une sueur froide allait les dissiper; je fis un effort sur moi. Il faut que notre ame soit bien vaste et ait un prodigieux ressort; une multitude de sentiments, d'idées, de réflexions touchent mon coeur, passent dans mon esprit, et font leur impression toutes à la fois.
La résolution s'opère, je me rends ma?tre de ma terreur. Je fixe hardiment le spectre. ?Que prétends-tu toi-même, téméraire, en te montrant sous cette forme hideuse??
Le fant?me balance un moment: ?Tu m'as demandé, dit-il d'un ton de voix plus bas...--L'esclave, lui dis-je, cherche-t-il à effrayer son ma?tre? Si tu viens recevoir mes ordres, prends une forme convenable et un ton soumis.
--Ma?tre, me dit le fant?me, sous quelle forme me présenterai-je pour vous être agréable??
La première idée qui me vint à la tête étant celle d'un chien: ?Viens, lui dis-je, sous la figure d'un épagneul.?
à peine avais-je donné l'ordre, l'épouvantable chameau allonge le col de seize pieds de longueur, baisse la tête jusqu'au milieu du salon, et vomit un épagneul blanc à soies fines et brillantes, les oreilles tra?nantes jusqu'à terre.
La fenêtre s'est refermée, toute autre vision a disparu, et il ne reste sous la vo?te, suffisamment éclairée, que le chien et moi.
Il tournait tout autour du cercle en remuant la queue et faisant des courbettes. ?Ma?tre, me dit-il, je voudrais bien vous lécher l'extrémité des pieds; mais le cercle redoutable qui vous environne me repousse.?
Ma confiance était montée jusqu'à l'audace: je sors du cercle, je tends le pied, le chien le lèche; je fais un mouvement pour lui tirer les oreilles, il se couche sur le dos comme pour me demander grace; je vis que c'était une petite femelle. ?Lève-toi, lui dis-je; je te pardonne: tu vois que j'ai compagnie, ces messieurs attendent à quelque distance d'ici; la promenade a d? les altérer; je veux leur donner une collation; il faut des fruits, des conserves, des glaces, des vins de Grèce; que cela soit bien entendu; éclaire et décore la salle sans faste, mais proprement. Vers la fin de la collation, tu viendras en virtuose du premier talent, et tu porteras une harpe; je t'avertirai quand tu devras para?tre. Prends garde à bien jouer ton r?le, mets de l'expression dans ton chant, de la décence, de la retenue dans ton maintien...
--J'obéirai, ma?tre, mais sous quelle condition...
--Sous celle d'obéir, esclave. Obéis, sans réplique, ou...
--Vous ne me connaissez pas, ma?tre; vous me traiteriez avec moins de rigueur; j'y mettrais peut-être l'unique condition de vous désarmer et de vous plaire.
Le chien avait à peine fini, qu'en tournant sur le talon, je vois mes ordres s'exécuter plus promptement qu'une décoration ne s'élève à l'Opéra. Les murs de la vo?te, ci-devant noirs, humides, couverts de mousse, prenaient une teinte douce, des formes agréables; c'était un salon de marbre jaspé. L'architecture présentait un cintre soutenu par des colonnes. Huit girandoles de cristaux, contenant chacune trois bougies, y répandaient une lumière vive, également distribuée.
Un moment après, la table et le buffet s'arrangent, se chargent de tous les apprêts de notre régal; les fruits et les confitures étaient de l'espèce la plus rare, la plus savoureuse et de la plus belle apparence. La porcelaine, employée au service et sur le buffet, était du Japon. La petite chienne faisait mille tours dans la salle, mille courbettes
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