raisonner sur les moyens, ni demander quel était ce Calderon chargé de ses ordres, la pipe allumée était de retour, et mon interlocuteur avait repris son occupation.
Il la continua quelque temps, moins pour savourer le tabac que pour jouir de la surprise qu'il m'occasionnait; puis se levant, il dit: ?Je prends la garde au jour, il faut que je repose. Allez vous coucher; soyez sage, et nous nous reverrons.?
Je me retirai plein de curiosité et affamé d'idées nouvelles, dont je me promettais de me remplir bient?t par le secours de Soberano. Je le vis le lendemain, les jours ensuite; je n'eus plus d'autre passion, je devins son ombre.
Je lui faisais mille questions; il éludait les unes et répondait aux autres d'un ton d'oracle. Enfin je le pressai sur l'article de la religion de ses pareils. ?C'est, me répondit-il, la religion naturelle.? Nous entrames dans quelques détails; ses décisions cadraient plus avec mes penchants qu'avec mes principes; mais je voulais venir à mon but, et ne devais pas le contrarier.
--Vous commandez aux esprits, lui disais-je; je veux comme vous être en commerce avec eux: je le veux, je le veux.
--Vous êtes vif, camarade, vous n'avez pas subi votre temps d'épreuve; vous n'avez rempli aucune des conditions sous lesquelles on peut aborder sans crainte de cette sublime catégorie...
--Eh! me faut-il bien du temps?...--Peut-être deux ans...--J'abandonne ce projet, m'écriai-je; je mourrais d'impatience dans l'intervalle, vous êtes cruel, Soberano. Vous ne pouvez concevoir la vivacité du désir que vous avez créé dans moi: il me br?le...
--Jeune homme, je vous croyais plus de prudence; vous me faites trembler pour vous et pour moi. Quoi! vous vous exposeriez à évoquer des esprits sans aucune des préparations?...
--Eh! que pourrait-il m'en arriver?...--Je ne dis pas qu'il d?t absolument vous en arriver du mal; s'ils ont du pouvoir sur nous, c'est notre faiblesse, notre pusillanimité qui le leur donne: dans le fond, nous sommes nés pour les commander...--Ah! je les commanderai...--Oui, vous avez le coeur chaud; mais si vous perdez la tête, s'ils vous effrayent à certain point?...
--S'il ne tient qu'à ne les pas craindre, je les mets au pis pour m'effrayer...--Quoi! quand vous verriez le diable?...--Je tirerais les oreilles au grand diable d'enfer...
--Bravo! Si vous êtes si s?r de vous, vous pouvez vous risquer, et je vous promets mon assistance. Vendredi prochain je vous donne à d?ner avec deux des n?tres, et nous mettrons l'aventure à fin.?
Nous n'étions qu'à mardi: jamais rendez-vous galant ne fut attendu avec tant d'impatience. Le terme arrive enfin; je trouve chez mon camarade deux hommes d'une physionomie peu prévenante: nous d?nons. La conversation roule sur des choses indifférentes.
Après d?ner, on propose une promenade à pied vers les ruines de Portici. Nous sommes en route: nous arrivons. Ces restes des monuments les plus augustes, écroulés, brisés, épars, couverts de ronces, portent à mon imagination des idées qui ne m'étaient pas ordinaires. Voilà, disais-je, le pouvoir du temps sur les ouvrages de l'orgueil et de l'industrie des hommes. Nous avan?ons dans les ruines et enfin nous sommes parvenus presque à tatons, à travers ces débris, dans un lieu si obscur, qu'aucune lumière extérieure n'y pouvait pénétrer.
Mon camarade me conduisait par le bras; il cesse de marcher, et je m'arrête. Alors un de la compagnie bat le fusil et allume une bougie. Le séjour où nous étions s'éclaire, quoique faiblement, et je découvre que nous sommes sous une vo?te assez bien conservée, de vingt-cinq pieds en carré à peu près, et ayant quatre issues. Mon camarade, à l'aide d'un roseau qui lui servait d'appui dans sa marche, trace un cercle autour de lui sur le sable léger dont le terrain était couvert, et en sort après y avoir dessiné quelques caractères. ?Entrez dans ce penthacle, mon brave, me dit-il, et n'en sortez qu'à de bonnes enseignes...
--Expliquez-vous mieux; à quelles enseignes en dois-je sortir?...--Quand tout vous sera soumis; mais avait ce temps, si la frayeur vous faisait faire une fausse démarche, vous pourriez courir les risques les plus grands.?
Alors il me donne une formule d'évocation courte, pressante, mêlée de quelques mots que je n'oublierai jamais. ?Récitez, me dit-il, cette conjuration avec fermeté, et appelez ensuite à trois fois clairement Béelzébut, et surtout n'oubliez pas ce que vous avez promis de faire.?
Je me rappelai que je m'étais vanté de lui tirer les oreilles. Je tiendrai parole, me dis-je, ne voulant pas en avoir le démenti. ?Nous vous souhaitons bien du succès, me dit-il; quand vous aurez fini, vous nous avertirez. Vous êtes directement vis-à-vis de la porte par laquelle vous devez sortir pour nous rejoindre.? Ils se retirent.
Jamais fanfaron ne se trouva dans une crise plus délicate: je fus au moment de les rappeler; mais il y avait trop à rougir pour moi; c'était d'ailleurs renoncer à toutes mes espérances. Je me raffermis sur la place où j'étais,
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