Ce n'était qu'une espièglerie. Continuons.
À Dijon, il y a trois mois, on a mené au supplice une femme. (Une
femme !) Cette fois encore, le couteau du docteur Guillotin a mal fait
son service. La tête n'a pas été tout à fait coupée. Alors les valets de
l'exécuteur se sont attelés aux pieds de la femme, et à travers les
hurlements de la malheureuse, et à force de tiraillements et de
soubresauts, ils lui ont séparé la tête du corps par arrachement.
À Paris, nous revenons au temps des exécutions secrètes. Comme on
n'ose plus décapiter en Grève depuis juillet, comme on a peur, comme
on est lâche, voici ce qu'on fait. On a pris dernièrement à Bicêtre un
homme, un condamné à mort, un nommé Désandrieux, je crois ; on l'a
mis dans une espèce de panier traîné sur deux roues, clos de toutes
parts, cadenassé et verrouillé ; puis, un gendarme en tête, un gendarme
en queue, à petit bruit et sans foule, on a été déposer le paquet à la
barrière déserte de Saint-Jacques. Arrivés là, il était huit heures du
matin, à peine jour, il y avait une guillotine toute fraîche dressée et
pour public quelque douzaine de petits garçons groupés sur les tas de
pierres voisins autour de la machine inattendue ; vite, on a tiré l'homme
du panier, et, sans lui donner le temps de respirer, furtivement,
sournoisement, honteusement, on lui a escamoté sa tête. Cela s'appelle
un acte public et solennel de haute justice. Infâme dérision !
Comment donc les gens du roi comprennent-ils le mot civilisation ? Où
en sommes-nous ? La justice ravalée aux stratagèmes et aux
supercheries ! la loi aux expédients ! monstrueux !
C'est donc une chose bien redoutable qu'un condamné à mort, pour que
la société le prenne en traître de cette façon !
Soyons juste pourtant, l'exécution n'a pas été tout à fait secrète. Le
matin on a crié et vendu comme de coutume l'arrêt de mort dans les
carrefours de Paris. Il paraît qu'il y a des gens qui vivent de cette vente.
Vous entendez ? du crime d'un infortuné, de son châtiment, de ses
tortures, de son agonie, on fait une denrée, un papier qu'on vend un sou.
Concevez-vous rien de plus hideux que ce sou, vert de grisé dans le
sang ? Qui est-ce donc qui le ramasse ?
Voilà assez de faits. En voilà trop. Est-ce que tout cela n'est pas
horrible ?
Qu'avez-vous à alléguer pour la peine de mort ?
Nous faisons cette question sérieusement : nous la faisons pour qu'on y
réponde : nous la faisons aux criminalistes, et non aux lettrés bavards.
Nous savons qu'il y a des gens qui prennent l'excellence de la peine de
mort pour texte à paradoxe comme tout autre thème. Il y en a d'autres
qui n'aiment la peine de mort que parce qu'ils haïssent tel ou tel qui
l'attaque. C'est pour eux une question quasi littéraire, une question de
personnes, une question de noms propres. Ceux-là sont les envieux, qui
ne font pas plus faute aux bons jurisconsultes qu'aux grands artistes.
Les Joseph Grippa ne manquent pas plus aux Filangieri que les
Torregiani aux Michel-Ange et les Scudéry aux Corneille.
Ce n'est pas à eux que nous nous adressons, mais aux hommes de loi
proprement dits, aux dialecticiens, aux raisonneurs, à ceux qui aiment
la peine de mort pour la peine de mort, pour sa beauté, pour sa bonté,
pour sa grâce.
Voyons, qu'ils donnent leurs raisons.
Ceux qui jugent et qui condamnent disent la peine de mort nécessaire.
D'abord, -- parce qu'il importe de retrancher de la communauté sociale
un membre qui lui a déjà nui et qui pourrait lui nuire encore. -- S'il ne
s'agissait que de cela, la prison perpétuelle suffirait. À quoi bon la mort ?
Vous objectez qu'on peut s'échapper d'une prison ? faites mieux votre
ronde. Si vous ne croyez pas à la solidité des barreaux de fer, comment
osez-vous avoir des ménageries ?
Pas de bourreau où le geôlier suffit.
Mais, reprend-on, -- il faut que la société se venge, que la société
punisse. -- Ni l'un, ni l'autre. Se venger est de l'individu, punir est de
Dieu.
La société est entre deux. Le châtiment est au-dessus d'elle, la
vengeance au-dessous. Rien de si grand et de si petit ne lui sied. Elle ne
doit pas "punir pour se venger" ; elle doit corriger pour améliorer.
Transformez de cette façon la formule des criminalistes, nous la
comprenons et nous y adhérons.
Reste la troisième et dernière raison, la théorie de l'exemple. -- Il faut
faire des exemples ! il faut épouvanter par le spectacle du sort réservé
aux criminels ceux qui seraient tentés de les imiter ! Voilà bien à peu
près textuellement la phrase éternelle

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