Le Dernier Jour dun Condamné | Page 6

Victor Hugo
exécutions
ont eu d'épouvantable et d'impie. Il faut donner mal aux nerfs aux
femmes des procureurs du roi. Une femme, c'est quelquefois une
conscience.
Dans le midi, vers la fin du mois de septembre dernier, nous n'avons
pas bien présents à l'esprit le lieu, le jour, ni le nom du condamné, mais
nous les retrouverons si l'on conteste le fait, et nous croyons que c'est à
Pamiers ; vers la fin de septembre donc, on vient trouver un homme
dans sa prison, où il jouait tranquillement aux cartes : on lui signifie
qu'il faut mourir dans deux heures, ce qui le fait trembler de tous ses
membres, car, depuis six mois qu'on l'oubliait, il ne comptait plus sur la
mort ; on le rase, on le tond, on le garrotte, on le confesse ; puis on le
brouette entre quatre gendarmes, et à travers la foule, au lieu de
l'exécution. Jusqu'ici rien que de simple. C'est comme cela que cela se
fait. Arrivé à l'échafaud, le bourreau le prend au prêtre, l'emporte, le
ficelle sur la bascule, l'enfourne, je me sers ici du mot d'argot, puis il

lâche le couperet. Le lourd triangle de fer se détache avec peine, tombe
en cahotant dans ses rainures, et, voici l'horrible qui commence, entaille
l'homme sans le tuer. L'homme pousse un cri affreux. Le bourreau,
déconcerté, relève le couperet et le laisse retomber. Le couperet mord le
cou du patient une seconde fois, mais ne le tranche pas. Le patient hurle,
la foule aussi. Le bourreau rehisse encore le couperet, espérant mieux
du troisième coup. Point. Le troisième coup fait jaillir un troisième
ruisseau de sang de la nuque du condamné, mais ne fait pas tomber la
tête. Abrégeons. Le couteau remonta et retomba cinq fois, cinq fois il
entama le condamné, cinq fois le condamné hurla sous le coup et
secoua sa tête vivante en criant grâce ! Le peuple indigné prit des
pierres et se mit dans sa justice à lapider le misérable bourreau. Le
bourreau s'enfuit sous la guillotine et s'y tapit derrière les chevaux des
gendarmes. Mais vous n'êtes pas au bout. Le supplicié, se voyant seul
sur l'échafaud, s'était redressé sur la planche, et là, debout, effroyable,
ruisselant de sang, soutenant sa tête à demi coupée qui pendait sur son
épaule, il demandait avec de faibles cris qu'on vînt le détacher. La foule,
pleine de pitié, était sur le point de forcer les gendarmes et de venir à
l'aide du malheureux qui avait subi cinq fois son arrêt de mort. C'est en
ce moment-là qu'un valet du bourreau, jeune homme de vingt ans
monte sur l'échafaud, dit au patient de se tourner pour qu'il le délie, et,
profitant de la posture du mourant qui se livrait à lui sans défiance,
saute sur son dos et se met à lui couper péniblement ce qui lui restait de
cou avec je ne sais quel couteau de boucher. Cela s'est fait. Cela s'est vu.
Oui.
Aux termes de la loi, un juge a dû assister à cette exécution. D'un signe
il pouvait tout arrêter. Que faisait-il donc au fond de sa voiture, cet
homme pendant qu'on massacrait un homme ? Que faisait ce punisseur
d'assassins, pendant qu'on assassinait en plein jour, sous ses yeux, sous
le souffle de ses chevaux, sous la vitre de sa portière ?
Et le juge n'a pas été mis en jugement ! et le bourreau n'a pas été mis en
jugement ! Et aucun tribunal ne s'est enquis de cette monstrueuse
extermination de toutes les lois sur la personne sacrée d'une créature de
Dieu !

Au dix-septième siècle, à l'époque de barbarie du code criminel, sous
Richelieu, sous Christophe Fouquet, quand M. de Chalais fut mis à
mort devant le Bouffay de Nantes par un soldat maladroit qui, au lieu
d'un coup d'épée, lui donna trente-quatre coups [Note : La Porte dit
vingt-deux, mais Aubery dit trente-quatre. M. de Chalais cria jusqu'au
vingtième.] d'une doloire de tonnelier, du moins cela parut-il irrégulier
au parlement de Paris : il y eut enquête et procès, et si Richelieu ne fut
pas puni, si Christophe Fouquet ne fut pas puni, le soldat le fut.
Injustice sans doute, mais au fond de laquelle il y avait de la justice.
Ici, rien. La chose a eu lieu après juillet, dans un temps de douces
moeurs et de progrès, un an après la célèbre lamentation de la Chambre
sur la peine de mort. Eh bien ! le fait a passé absolument inaperçu. Les
journaux de Paris l'ont publié comme une anecdote. Personne n'a été
inquiété. On a su seulement que la guillotine avait été disloquée exprès
par quelqu'un qui voulait nuire à l'exécuteur des hautes oeuvres. C'était
un valet du bourreau, chassé par son maître, qui, pour se venger, lui
avait fait cette malice.
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