Le Dernier Jour dun Condamné | Page 5

Victor Hugo
? c'est que, comme vous n'étiez pas sincères, on a été
défiant. Quand le peuple a vu qu'on voulait lui donner le change, il s'est
fâché contre toute la question en masse, et, chose remarquable ! il a pris
fait et cause pour cette peine de mort dont il supporte pourtant tout le
poids. C'est votre maladresse qui l'a amené là. En abordant la question
de biais et sans franchise, vous l'avez compromise pour longtemps.
Vous jouiez une comédie. On l'a sifflée.
Cette farce pourtant, quelques esprits avaient eu la bonté de la prendre
au sérieux. Immédiatement après la fameuse séance, ordre avait été
donné aux procureurs généraux, par un garde des sceaux honnête
homme, de suspendre indéfiniment toutes exécutions capitales. C'était
en apparence un grand pas. Les adversaires de la peine de mort
respirèrent. Mais leur illusion fut de courte durée.
Le procès des ministres fut mené à fin. Je ne sais quel arrêt fut rendu.
Les quatre vies furent épargnées. Ham fut choisi comme juste milieu

entre la mort et la liberté. Ces divers arrangements une fois faits, toute
peur s'évanouit dans l'esprit des hommes d'État dirigeants, et, avec la
peur, l'humanité s'en alla. Il ne fut plus question d'abolir le supplice
capital ; et une fois qu'on n'eut plus besoin d'elle, l'utopie redevint
utopie, la théorie, théorie, la poésie, poésie !
Il y avait pourtant toujours dans les prisons quelques malheureux
condamnés vulgaires qui se promenaient dans les préaux depuis cinq ou
six mois, respirant l'air, tranquilles désormais, sûrs de vivre, prenant
leur sursis pour leur grâce. Mais attendez.
Le bourreau, à vrai dire, avait eu grand'peur. Le jour où il avait entendu
nos faiseurs de lois parler humanité, philanthropie, progrès, il s'était cru
perdu. Il s'était caché, le misérable, il s'était blotti sous sa guillotine,
mal à l'aise au soleil de juillet comme un oiseau de nuit en plein jour,
tâchant de se faire oublier, se bouchant les oreilles et n'osant souffler.
On ne le voyait plus depuis six mois. Il ne donnait plus signe de vie.
Peu à peu cependant il s'était rassuré dans ses ténèbres. Il avait écouté
du côté des Chambres et n'avait plus entendu prononcer son nom. Plus
de ces grands mots sonores dont il avait eu si grande frayeur. Plus de
commentaires déclamatoires du Traité des Délits et des Peines. On
s'occupait de toute autre chose, de quelque grave intérêt social, d'un
chemin vicinal, d'une subvention pour l'Opéra-Comique, ou d'une
saignée de cent mille francs sur un budget apoplectique de quinze cents
millions. Personne ne songeait plus à lui, coupe-tête. Ce que voyant,
l'homme se tranquillise, il met sa tête hors de son trou, et regarde de
tous côtés ; il fait un pas, puis deux, comme je ne sais plus quelle souris
de La Fontaine, puis il se hasarde à sortir tout à fait de dessous son
échafaudage, puis il saute dessus, le raccommode, le restaure, le fourbit,
le caresse, le fait jouer, le fait reluire, se remet à suifer la vieille
mécanique rouillée que l'oisiveté détraquait ; tout à coup il se retourne,
saisit au hasard par les cheveux dans la première prison venue un de ces
infortunés qui comptaient sur la vie, le tire à lui, le dépouille, l'attache,
le boucle, et voilà les exécutions qui recommencent.
Tout cela est affreux, mais c'est de l'histoire.
Oui, il y a eu un sursis de six mois accordé à de malheureux captifs,

dont on a gratuitement aggravé la peine de cette façon en les faisant
reprendre à la vie ; puis, sans raison, sans nécessité, sans trop savoir
pourquoi, pour le plaisir, on a un beau matin révoqué le sursis et l'on a
remis froidement toutes ces créatures humaines en coupe réglée. Eh !
mon Dieu ! je vous le demande, qu'est-ce que cela nous faisait à tous
que ces hommes vécussent ? Est-ce qu'il n'y a pas en France assez d'air
à respirer pour tout le monde ?
Pour qu'un jour un misérable commis de la chancellerie, à qui cela était
égal, se soit levé de sa chaise en disant : -- Allons ! personne ne songe
plus à l'abolition de la peine de mort. Il est temps de se remettre à
guillotiner ! -- il faut qu'il se soit passé dans le coeur de cet homme-là
quelque chose de bien monstrueux.
Du reste, disons-le, jamais les exécutions n'ont été accompagnées de
circonstances plus atroces que depuis cette révocation du sursis de
juillet, jamais l'anecdote de la Grève n'a été plus révoltante et n'a mieux
prouvé l'exécration de la peine de mort. Ce redoublement d'horreur est
le juste châtiment des hommes qui ont remis le code du sang en vigueur.
Qu'ils soient punis par leur oeuvre. C'est bien fait.
Il faut citer ici deux ou trois exemples de ce que certaines
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