Le Dernier Jour dun Condamné | Page 4

Victor Hugo
Vite, supprimons le bourreau, biffons le code.
Et c'est ainsi qu'un alliage d'égoïsme altère et dénature les plus belles
combinaisons sociales. C'est la veine noire dans le marbre blanc ; elle
circule partout, et apparaît à tout moment à l'improviste sous le ciseau.
Votre statue est à refaire.
Certes, il n'est pas besoin que nous le déclarions ici, nous ne sommes
pas de ceux qui réclamaient les têtes des quatre ministres. Une fois ces
infortunés arrêtés, la colère indignée que nous avait inspirée leur
attentat s'est changée, chez nous comme chez tout le monde, en une
profonde pitié. Nous avons songé aux préjugés d'éducation de
quelques-uns d'entre eux, au cerveau peu développé de leur chef, relaps
fanatique et obstiné des conspirations de 1804, blanchi avant l'âge sous
l'ombre humide des prisons d'État, aux nécessités fatales de leur
position commune, à l'impossibilité d'enrayer sur cette pente rapide où
la monarchie s'était lancée elle-même à toute bride le 8 août 1829, à
l'influence trop peu calculée par nous jusqu'alors de la personne royale,
surtout à la dignité que l'un d'entre eux répandait comme un manteau de
pourpre sur leur malheur. Nous sommes de ceux qui leur souhaitaient

bien sincèrement la vie sauve, et qui étaient prêts à se dévouer pour
cela. Si jamais, par impossible, leur échafaud eût été dressé un jour en
Grève, nous ne doutons pas, et si c'est une illusion nous voulons la
conserver, nous ne doutons pas qu'il n'y eût eu une émeute pour le
renverser, et celui qui écrit ces lignes eût été de cette sainte émeute. Car,
il faut bien le dire aussi, dans les crises sociales, de tous les échafauds,
l'échafaud politique est le plus abominable, le plus funeste, le plus
vénéneux, le plus nécessaire à extirper. Cette espèce de guillotine-là
prend racine dans le pavé, et en peu de temps repousse de bouture sur
tous les points du sol.
En temps de révolution, prenez garde à la première tête qui tombe. Elle
met le peuple en appétit.
Nous étions donc personnellement d'accord avec ceux qui voulaient
épargner les quatre ministres, et d'accord de toutes manières, par les
raisons sentimentales comme par les raisons politiques. Seulement,
nous eussions mieux aimé que la Chambre choisît une autre occasion
pour proposer l'abolition de la peine de mort.
Si on l'avait proposée, cette souhaitable abolition, non à propos de
quatre ministres tombés des Tuileries à Vincennes, mais à propos du
premier voleur de grands chemins venu, à propos d'un de ces
misérables que vous regardez à peine quand ils passent près de vous
dans la rue, auxquels vous ne parlez pas, dont vous évitez
instinctivement le coudoiement poudreux ; malheureux dont l'enfance
déguenillée a couru pieds nus dans la boue des carrefours, grelottant
l'hiver au rebord des quais, se chauffant au soupirail des cuisines de M.
Véfour chez qui vous dînez, déterrant çà et là une croûte de pain dans
un tas d'ordures et l'essuyant avant de la manger, grattant tout le jour le
ruisseau avec un clou pour y trouver un liard, n'ayant d'autre
amusement que le spectacle gratis de la fête du roi et les exécutions en
Grève, cet autre spectacle gratis ; pauvres diables, que la faim pousse
au vol, et le vol au reste ; enfants déshérités d'une société marâtre, que
la maison de force prend à douze ans, le bagne à dix-huit, l'échafaud à
quarante ; infortunés qu'avec une école et un atelier vous auriez pu
rendre bons, moraux, utiles, et dont vous ne savez que faire, les versant,

comme un fardeau inutile, tantôt dans la rouge fourmilière de Toulon,
tantôt dans le muet enclos de Clamart, leur retranchant la vie après leur
avoir ôté la liberté ; si c'eût été à propos d'un de ces hommes que vous
eussiez proposé d'abolir la peine de mort, oh ! alors, votre séance eût
été vraiment digne, grande, sainte, majestueuse, vénérable. Depuis les
augustes pères de Trente invitant les hérétiques au concile au nom des
entrailles de Dieu, per viscera Dei, parce qu'on espère leur conversion,
quoniam sancta synodus sperat hoereticorum conversionem, jamais
assemblée d'hommes n'aurait présenté au monde spectacle plus sublime,
plus illustre et plus miséricordieux. Il a toujours appartenu à ceux qui
sont vraiment forts et vraiment grands d'avoir souci du faible et du petit.
Un conseil de brahmanes serait beau prenant en main la cause du paria.
Et ici, la cause du paria, c'était la cause du peuple. En abolissant la
peine de mort, à cause de lui et sans attendre que vous fussiez
intéressés dans la question, vous faisiez plus qu'une oeuvre politique,
vous faisiez une oeuvre sociale.
Tandis que vous n'avez pas même fait une oeuvre politique en essayant
de l'abolir, non pour l'abolir, mais pour sauver quatre malheureux
ministres pris la main dans le sac des coups d'État !
Qu'est-il arrivé
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